Le métier des lettres est tout de même le seul où l’on puisse sans ridicule ne pas gagner d’argent.
Jules Renard
Avoir un métier qui n’est pas payé, c’est être sûr de mourir de faim. Ce n’est pas ridicule ; c’est absurde.
Mais à supposer que les besoins vitaux soient couverts : ne pas gagner d’argent par son travail est ridicule, sauf si vous exercez le métier des lettres. Est-ce vrai ? Flaubert ne s’est jamais soucié de gagner sa vie, mais Georges Sand a écrit, poussée par le besoin alimentaire. Question de circonstances.
En fait, l’essentiel n’est pas là. Il est de savoir si le salaire est la justification du travail, sa reconnaissance. Ou peut-être mieux encore : l’indice de la valeur d’un homme (je crois comprendre que c’est un peu ça aux U.S.A.).
Plutôt que de philosopher sur la valeur de l’homme et de son travail, je souhaiterais faire aujourd’hui une autre remarque : j’ai connu professionnellement des gens qui travaillaient sans savoir s’ils seraient payés, et je dirai qu’ils ne se posaient même pas la question. Il s’agissait de conférences données par des professeurs de faculté, certes payés pour leur enseignement universitaire (= à l’abri du besoin), mais dont ce travail supplémentaire méritait salaire (1).
La reconnaissance qu’ils attendaient pour leur contribution n’était pas monnayable, ce qui veut dire qu’ils ne s’inscrivaient même pas dans la cadre du bénévolat (où on sait que ce qu’on donne peut se mesurer en argent : ça peut s’acheter). Ce qu’ils attendaient, c’était de savoir s’ils avaient été compris et appréciés des autres. Et c’est peut-être ça que veut dire Jules Renard : l’écrivain n’est justifié de son travail que si il est lu et apprécié ; les droits d’auteurs ne lui suffiraient pas s’ils n’étaient associés à une vraie reconnaissance.
Mais si je parle de ces gens, c’est parce que j’ai aussi rencontré d’autres gens absolument incapables de comprendre qu’une telle attitude puisse exister : travailler sans être payé était pour eux l’absurdité même ; c’était comme donner sa bourse au voleur avant même qu’il l’ait demandé. Bêtise pure. Ridicule !
D’ailleurs, pour (presque) tout le monde, « Travailler plus pour gagner plus », ça signifie « Travailler pour gagner [de l’argent] ».
Alors, si je devais dire un mot en faveur de la fonction publique, ce serait celui-ci : c’est là seulement que j’ai rencontré des gens capables de travailler sans salaire ; ou pour qui le salaire était secondaire.
Ces gens-là sont irrécupérables pour l’entreprise (2).
(1) Il va sans dire qu’ils étaient rétribués, même si ce n’était peut-être pas à leur juste valeur.
(2) Je remarque qu’on demande à ceux qui travaillent dans une entreprise de travailler pour le succès de celle-ci, et pas seulement pour leur salaire. Quelqu'un pourrait m'expliquer ça ?
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