Nous écrivons des livres parce que nos enfants se désintéressent de nous. Nous nous adressons au monde anonyme parce que notre femme se bouche les oreilles quand nous lui parlons.
Milan Kundera – Le Livre du rire et de l'oubli
- Pourquoi écrivons-nous ?
A cette question, Milan Kundera répond : l’écriture est l’expression d’un manque, d’un déficit d’écoute. Nous écrivons parce que nos proches ne nous écoutent pas. L’écriture est une bouteille à la mer, destinée au lecteur potentiel, celui qui recueillera notre prose et la lira avec attention, alors que nos enfants baillent quand leurs parlons et que notre femme se bouche les oreilles quand nous nous confions à elle.
A ce titre, Internet a renforcé cette conviction : ne s’agit-il pas de trouver des lecteurs jusqu’à l’autre côté de la terre, alors que nos proches dédaignent de nous lire ?
On opposera à cela les réseaux sociaux, mais c’est qu’alors on confond comme souvent un peu tout à propos d’Internet : qu’on utilise l’idée de Kundera, par exemple pour distinguer entre ces réseaux sociaux (genre Facebook), où la communication est essentiellement adressée (aux « amis ») et les Blogs comme celui-ci qui s’adresse bien sûr à des lecteurs, mais qui sont complètement anonymes, et qui le resteront selon toute probabilité.
Maintenant on aimerait savoir si Kundera exprime un regret ou au contraire une satisfaction.
Après tout, dans le monde anonyme ne trouve-t-on pas de meilleurs lecteurs de nos écrits que dans notre famille et chez nos amis ?
- Qui est le meilleur lecteur ?
Comme vous peut-être, j’ai fait l’expérience de lire les manuscrits de ceux de mes amis qui écrivent. J’en ai retiré un sentiment désagréable, comme si je devenais d’un coup le maître d’école soulignant en rouge les passages du texte qui ne me plaisaient pas, comme si j’étais possesseur la norme du texte, dont l’auteur était du coup destitué.
Avouez que si c’est pour être lu comme ça, il vaut mieux s’adresser aux lecteurs anonymes, qui, du fait de leur éloignement, auront l’humilité de nous laisser construire notre univers littéraire à notre guise.
J’ai toujours pensé que Rousseau avait vécu avec Thérèse, sa lingère illettrée, parce qu’elle au moins ne prétendait pas lire ses ouvrages (1).
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(1) Rousseau raconte bien sûr qu’ils pleuraient ensemble le soir, quand il lisait à Thérèse les pages de la Nouvelle Héloïse écrites dans la journée. Mais c’est que justement il n’apparaissait plus comme l’auteur mais comme le lecteur d’une œuvre anonyme.
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