Tuesday, January 04, 2011

Citation du 5 janvier 2011

Le sourire est l'arme du sage, contre ses propres passions et contre celles d'autrui.

Alain – Les passions et la sagesse (On peut lire ce texte en annexe)

Un de mes correspondants me conseille de ne pas trop écouter les voix de la sagesse, ajoutant « Le sage est sans idée » (citation de François Jullien qui parle ici du sage chinois). Ce qui, appliqué à la pensée chinoise peut bien se révéler vrai (sous des contraintes de définition précises) – mais qui n’épuise bien sûr pas la question de l’utilité du sage.

Car je me mis alors à songer : qu’est-ce qu’on peut attendre d’un sage ? Quelle est son utilité pour les autres ? Comment se fait-il que 25 siècles plus tard on se souvienne encore de la condamnation de Socrate non seulement comme d’une injustice, mais encore comme un méfait à l’encontre de la Cité d’Athènes (on se rappelle que Socrate, estimant avoir été un bienfaiteur d’Athènes, demandait à ses juges d’être entretenu aux frais de l'Etat au Prytanée …).

C’est alors que je tombais sur cette citation d’Alain : un sage est quelqu’un qui sourit en face des passions des autres et qui de ce fait les désarme et leur permet de vivre en bonne santé.

Déjà Spinoza nous conseillait en substance de ne pas rire ni pleurer de la conduite des hommes, mais d’essayer plutôt de les comprendre (voir par exemple ici).

Mais le conseil d’Alain va plus loin : il s’agit par le savoir de modifier la réalité – et c’est bien cela qu’on devrait attendre de la sagesse, plutôt que de se contenter d’en expliquer les méandres et d’en prévoir le déroulement.
Le sage selon Alain est quelqu’un qui est capable de guérir les autres de leurs maladies – du moins de celles – et elles sont nombreuses – qui sont issues de leurs passions.

On ne demande plus seulement alors au philosophe (s’il est un sage) de donner du sens, aussi mais de modifier la réaction de notre corps à celui-ci.

Alain est strictement cartésien ici : il pense que le corps est une machine qui interagit avec l’âme – ou l’esprit – et qui peut lui communiquer ses soubresauts et ses spasmes, de même que réciproquement, l’esprit peut par ses angoisses et ses passions déclencher des troubles fonctionnels.

Souriez et vous serez en bonne santé.

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« Le sourire est la perfection du rire. Car il y a toujours de l'inquiétude dans le rire, quoique aussitôt calmée ; mais dans le sourire tout se détend, sans aucune inquiétude ni défense. On peut donc dire que l'enfant sourit mieux encore à sa mère que sa mère ne lui sourit ; ainsi l'enfance est toujours la plus belle. Mais dans tout sourire il y a de l'enfance ; c'est un oubli et un recommencement. Tous les muscles prennent leur repos et leur aisance, principalement ces muscles puissants des joues et des mâchoires, si naturellement contractés dans la colère, et déjà dans l'attention. Le sourire ne fait pas attention ; les yeux embrassent tout autour de leur centre. En même temps la respiration et le cœur travaillent largement et sans gêne, d'où cette couleur de vie et cet air de santé. Comme la défiance éveille la défiance, ainsi le sourire appelle le sourire ; il rassure l'autre sur soi et toutes choses autour. C'est pourquoi ceux qui sont heureux disent bien que tout leur sourit. Et l'on peut, d'un sourire, guérir les peines de quelqu'un qu'on ne connaît pas. C'est pourquoi le sourire est l'arme du sage, contre ses propres passions et contre celles d'autrui. Il les touche là dans leur centre et dans leur force, qui n'est jamais dans les idées ni dans les événements, mais dans cette colère armée qui ne peut sourire. »

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