La liberté est l’un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens; qui chantent plus qu'ils ne parlent; qui demandent plus qu'ils ne répondent; de ces mots qui font tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de Théologie, de Métaphysique, de Morale et de Politique; mots très bons pour la controverse, la dialectique, l'éloquence; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu'aux fins de phrases qui déchainent le tonnerre.
Valéry – Regard sur le Monde actuel (Fluctuations sur la liberté)
La liberté est l’un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens; qui chantent plus qu'ils ne parlent; qui demandent plus qu'ils ne répondent…
C’est sous cette forme tronquée que des générations de lycéens ont abordé la dissertation de philosophie consacrée à la liberté. On leur faisait grâce de la suite, pour leur épargner la fastidieuse obligation d’expliquer ce que la Théologie, la Métaphysique, la Morale, la Politique venaient faire ici. Merci pour eux.
Mais déjà comme ça, ils avaient du grain à moudre nos potaches : liberté, un mot sans valeur ? Liberté un mot qu’on chante mais qui ne dit rien ? Liberté, un mot qui commande des crimes sans apporter de bonheur ?
Bref : une analyse de la liberté qui se limiterait à l’usage du mot. Autant dire qu’on les invitait, nos lycéens, à un décryptage idéologique : ça ne marcherait plus du tout aujourd’hui je suppose.
Alors, tentons de résoudre le problème – en 10 lignes et en 5 minutes.
--> Imaginons une langue où le mot liberté n’existerait pas. Qu’est-ce qui (lui) manquerait ?
Faute de connaitre la liberté, dira-t-on qu’elle ne peut manquer aux hommes ? Ou bien qu’elle resterait dans le vécu profond comme une nostalgie obscure ?
Peut-être au contraire faudrait-il dire qu’elle reste comme une évidence qu’on n’a même pas besoin de nommer parce qu’elle est attachée à quelque chose que chacun éprouve en son for intérieur.
On étonne beaucoup quand on dit (c’est pourtant la définition que donnent bien des dictionnaires historiques) que le mot liberté a d’abord servi à désigner – chez les grecs et les romains par exemple – une condition sociale : l’homme libre s’y définit non par une qualité de sa volonté, mais par le fait qu’il ne soit pas esclave (quand bien même il serait sous l’emprise tyrannique de ses passions). Autrement dit on a eu le besoin de conceptualiser les positions sociales des hommes les unes par rapport aux autres, mais pas vraiment ce que chacune de ces postions impliquait.
En tout cas, on voit bien que les langues évoluent au cours du temps, qu’elles s’enrichissent de nouveaux vocables pour désigner ce que la civilisation a forgé au cours du temps.
Et si ça fonctionnait aussi en sens inverse ? Si aujourd’hui il nous manquait des termes qui, hier encore, étaient sur toutes les lèvres pour désigner des réalités que chacun percevait dans la société ?
Par exemple : la bourgeoisie ? Qui donc entend (= comprend) ce que signifie que signifie le mot « bourgeoisie » ? N’a-t-il pas a disparu du vocabulaire occidental depuis la chute du mur de Berlin ?
Eh bien voilà : de même qu’il y a des mots qui apparaissent dans l’histoire des civilisations, il y en a aussi qui disparaissent.
Mais les réalités, elles, pas tout à fait.
No comments:
Post a Comment