Monday, June 18, 2012

Citation du 19 juin 2012


Vous avez raison. Il faut s'aimer, et puis il faut se le dire, et puis il faut se l'écrire, et puis il faut se baiser sur la bouche, sur les yeux et ailleurs.
Victor Hugo – Lettre à Juliette - 7 mars 1834

Ce qui gêne quand on lit la correspondance d’un auteur, c’est qu’en général on ne dispose pas des réponses des correspondants. De temps en temps, comme ici, on a une allusion à son contenu, mais rien de détaillé, et surtout rien d’attesté avec exactitude.
On supposera qu’ici Victor Hugo évoque une réponse de Juliette Drouet à une de ses précédentes lettres. On sait qu’en 1834 ils sont au début de leur liaison, que Juliette est encore très attirante (image ci-contre), et que notre sémillant poète n’a sans doute guère besoin qu’on lui rappelle qu’aimer, ça signifie donner des baisers partout-partout – et même ailleurs.
Alors, pourquoi l’amante doit-elle rappeler à son amant qu’il ne suffit pas d’écrire des poèmes d’amour pour aimer vraiment ? Faut-il donc lui dire que la vie ne se récapitule pas dans la page d’écriture ? Ou plutôt que pour vivre, il ne suffit pas d’écrire ?
Oui, n’est-ce pas, c’est ça sans doute. Pour l’écrivain, écrire c’est vivre pleinement, c’est être plongé dans un monde où la trace de la pensée sur la feuille de papier constitue la réalité pleine et entière. Rien ne la dépasse, rien d’extérieur ne subsiste.
Les lettres d’amour nous trompent souvent : on croit qu’elles sont l’effet de la séparation – et il est vrai que la correspondance de Diderot avec Sophie Volland n’existe que quand ils sont séparés (1). Mais c’est sans doute  une illusion. Je croirais volontiers qu’un écrivain tel Victor Hugo écrit des lettres d’amour parce que c’est là une façon forte de vivre l’amour. Qu’importe alors que la destinatrice ne soit pas vraiment telle que ces lettres l’imaginent ? Et que le matin, décoiffée et exhalant les remugles de la nuit, elle ne soit pas si attirante ?
On inverse alors le rapport de la réalité à l’imagination : c’est celle-ci qui a le plus d’importance, c’est elle qu’il faut protéger de la réalité qui tend à la détruire.
Au fond, le charme de la maitresse (et Juliette Drouet en fut une), ce qui fait sa supériorité sur la femme légitime, c’est que son absence lui donne la consistance d’une héroïne de roman.
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(1) Voir ici

6 comments:

Anonymous said...

Donc, la séparation servirait à sublimer la plus banale relation?
Mais retrouver (ds une boite rouge) d'anciennes lettres d'amour replonge ds une terrible nostalgie! C'est aussi un témoignage sur l'époque (30 years ago); total, un petit peu de baume au coeur. (nous étions jeunes et beaux, le monde nous appartenait!!)
T.

Jean-Pierre Hamel said...

J'ai personnellement immolé par le feu 3 ans de correspondance quotidienne avec ma future femme : simplement pour ne pas laisser de traces après moi...

dictionnaire said...

Bonjour,
Je dirais que l'auteur a bel et bien raison.

Anonymous said...

Pas de traces! Et ce blog, qu'est-ce donc?
Presque aussi intime que des lettres d'amour, non?

Jean-Pierre Hamel said...

Il y a des éléments d'intimité, dévoilés selon une intention bien précise et sous contrôle, et l'intimité qui se révèle dans des lettres destinées à n'être lues que par une seule personne.
Ce n'est pas vraiment pareil.

Curieux said...

Et la dame destinataire des lettres elle était d'accord pour cet autodafé?