Vous avez raison. Il faut s'aimer, et puis il faut se le
dire, et puis il faut se l'écrire, et puis il faut se baiser sur la bouche, sur
les yeux et ailleurs.
Victor Hugo – Lettre
à Juliette - 7 mars 1834
Ce qui gêne quand on lit la correspondance d’un auteur,
c’est qu’en général on ne dispose pas des réponses des correspondants. De temps
en temps, comme ici, on a une allusion à son contenu, mais rien de détaillé, et
surtout rien d’attesté avec exactitude.
On supposera qu’ici Victor Hugo évoque une réponse de
Juliette Drouet à une de ses précédentes lettres. On sait qu’en 1834 ils sont
au début de leur liaison, que Juliette est encore très attirante (image
ci-contre), et que notre sémillant poète n’a sans doute guère besoin qu’on lui
rappelle qu’aimer, ça signifie donner des baisers partout-partout – et même
ailleurs.
Alors, pourquoi l’amante doit-elle rappeler à son amant
qu’il ne suffit pas d’écrire des poèmes d’amour pour aimer vraiment ?
Faut-il donc lui dire que la vie ne se récapitule pas dans la page
d’écriture ? Ou plutôt que pour vivre, il ne suffit pas d’écrire ?
Oui, n’est-ce pas, c’est ça sans doute. Pour l’écrivain,
écrire c’est vivre pleinement, c’est être plongé dans un monde où la trace de
la pensée sur la feuille de papier constitue la réalité pleine et entière. Rien
ne la dépasse, rien d’extérieur ne subsiste.
Les lettres d’amour nous trompent souvent : on croit
qu’elles sont l’effet de la séparation – et il est vrai que la correspondance
de Diderot avec Sophie Volland n’existe que quand ils sont séparés (1). Mais
c’est sans doute une illusion. Je croirais volontiers qu’un écrivain tel
Victor Hugo écrit des lettres d’amour parce que c’est là une façon forte de
vivre l’amour. Qu’importe alors que la destinatrice ne soit pas vraiment telle
que ces lettres l’imaginent ? Et que le matin, décoiffée et exhalant les
remugles de la nuit, elle ne soit pas si attirante ?
On inverse alors le rapport de la réalité à
l’imagination : c’est celle-ci qui a le plus d’importance, c’est elle
qu’il faut protéger de la réalité qui tend à la détruire.
Au fond, le charme de la maitresse (et Juliette Drouet en
fut une), ce qui fait sa supériorité sur la femme légitime, c’est que son
absence lui donne la consistance d’une héroïne de roman.
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(1) Voir ici
6 comments:
Donc, la séparation servirait à sublimer la plus banale relation?
Mais retrouver (ds une boite rouge) d'anciennes lettres d'amour replonge ds une terrible nostalgie! C'est aussi un témoignage sur l'époque (30 years ago); total, un petit peu de baume au coeur. (nous étions jeunes et beaux, le monde nous appartenait!!)
T.
J'ai personnellement immolé par le feu 3 ans de correspondance quotidienne avec ma future femme : simplement pour ne pas laisser de traces après moi...
Bonjour,
Je dirais que l'auteur a bel et bien raison.
Pas de traces! Et ce blog, qu'est-ce donc?
Presque aussi intime que des lettres d'amour, non?
Il y a des éléments d'intimité, dévoilés selon une intention bien précise et sous contrôle, et l'intimité qui se révèle dans des lettres destinées à n'être lues que par une seule personne.
Ce n'est pas vraiment pareil.
Et la dame destinataire des lettres elle était d'accord pour cet autodafé?
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