La fourmi qui amasse et l’araignée qui ratiocine ne
peuvent rien sans l’abeille qui transforme : l’imagination.
Luc Peterschmitt
(Commentaire de l’ouvrage de Chantal Jaquet : Bacon et la promotion des
savoirs)
Cette citation résume un texte de Bacon qu’il vaut mieux lire pour
commencer : on le trouvera en annexe
Voici « la célèbre image opposant la fourmi
empirique qui amasse tout ce qu’elle trouve, l’araignée rationaliste qui tire
d’elle-même son discours et l’abeille qui transforme ce qu’elle
découvre. » (Ch. Jaquet)
Il est possible que vous soyez victime d’une phobie des
insectes, en particulier de l’araignée. Sachez pourtant que cette bestiole n’est absolument pas nuisible à
condition d’apparaitre solidairement avec les deux autres : pas d’araignée
dans la maison sans fourmis et sans abeilles.
--> Décryptons : le savoir ne peut progresser
qu’à condition de réunir trois facultés qui ont souvent le défaut de régner de
façon solitaire :
- L’empiriste qui, comme une fourmi, se contenterait de
collectionner des faits d’observation, ne peut élaborer à lui tout seul que des
tristes compilations sans aucun effet pour la connaissance.
- Le logicien qui, livré à lui-même, formule des discours
métaphysiques sur les essences et les substances, et ne nous donne que des
abstractions sans rapport avec la réalité. Ses toiles d’araignées resteront
désespérément vides.
- Enfin, l’imagination qui transforme ces deux sources en
effectuant leur synthèse, et qui, sans les deux autres facultés, ne nous livrerait
que des songes évaporés. Bacon la compare donc à « l’abeille [qui] garde le milieu ; elle tire la matière première
des fleurs des champs et des jardins ; puis, par un art qui lui est
propre, elle la travaille et la digère. »
Réunir ces trois supports est le propre de l’esprit
scientifique, qui, selon Bacon, doit éclairer le savoir quel qu’il soit. Il
s’agit ici d’un « discours de la méthode » légèrement antérieur à
celui de Descartes, mais qui a la même ambition : nous mettre en état de
formuler une connaissance rigoureuse qui nous donne une prise sur la réalité.
… Tout ceci devrait être bien connu, depuis bientôt 4
siècles que Bacon l’a écrit. Mais quand on voit l’extraordinaire gravité avec
laquelle s’énoncent aujourd’hui des opinions sans fondements qui ne font
qu’abrutir les malheureux consommateurs d’information, on se dit qu’il serait
bon de revenir aux « fondamentaux ».
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Annexe
« Les philosophes qui se sont mêlés de traiter les
sciences se partageaient en deux classes, à savoir : les empiriques et les
dogmatiques. L’empirique, semblable à la fourmi, se contente d’amasser et de
consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel que l’araignée, tisse des
toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L’abeille garde le
milieu ; elle tire la matière première des fleurs des champs et des
jardins ; puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la
digère. La vraie philosophie fait quelque chose de semblable ; elle ne se
repose pas uniquement, ni même principalement sur les forces naturelles de
l’esprit humain, et cette matière qu’elle tire de l’histoire naturelle et des
expériences mécaniques, elle ne la jette pas dans la mémoire telle qu’elle l’a
puisée dans ces deux sources, mais après avoir aussi travaillé et digéré elle
la met en magasin. Ainsi notre plus grande ressource et celle dont nous devons
tout espérer, c’est l’étroite alliance de ces deux facultés :
l’expérimentale et la rationnelle, union qui n’a point encore été formée. »
Francis Bacon, Novum Organum (1620), livre I, aphorisme 95
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