On ne jouit bien que de ce qu’on partage.
Madame de Genlis –
Les mères rivales
[Extrait du livre de madame de Genlis,
reproduit par Googlebooks ici]
Il faut lire la citation « développée »
(ici : le fac-simile) pour comprendre son intérêt.
C’est en effet une opinion générale qu’on ne puisse jouir
de quoi que ce soit sans le partage. Et on nous recommande d’y voir une
expression de la charité chrétienne, voire même de l’amour du prochain. « Partagez, mes frères, car c’est en vous
détournant de vous-mêmes que vous vous retrouverez le mieux. » Etc…
Moi qui ai horreur des sermons et des sermonneurs,
j’apprécie beaucoup madame de Genlis – du moins ce qu’elle écrit ici.
Car, voilà la vérité : nous voulons partager pour
être approuvé, c’est donc une expression non de la générosité, mais de
l’amour-propre (1).
On pourrait encore juger mon ravissement comme une exagération,
parce qu’on est en fin de compte en présence d’un avertissement rappelant La
Rochefoucauld : tout altruisme est en réalité le déguisement d’un égoïsme.
Communiquer nos pensées serait alors une sorte de générosité narcissique, mais
qui ne consisterait pas à dire : « elles sont tellement belles, mes
pensées, que je ne peux sans pécher les garder pour moi seul ». Mais
bien : « regardez comme elles sont belles, ces pensées ! Et
dites-moi que vous m’admirez de les avoir produites. »
Oui, c’est vrai. Reste que madame de Genlis ajoute :
ce plaisir [du partage] est le seul sentiment utile produit par l’amour-propre. Parce que, quand même, ce partage
produit quelque chose de positif en nous permettant de penser avec les autres
et non de rester limité à soi-seul.
Même ce que je fais par égoïsme peut être justifié
moralement si son résultat est souhaitable. Ça c’est du pragmatisme ! (2)
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(1) Madame de Genlis connaissait Rousseau. On peut
admettre qu’elle donne à l’« amour-propre » le sens qu’il lui
confère : amour de soi.
(2) Nous sommes dans le cas de la distinction entre éthique de la responsabilité et de l’éthique de la conviction de Max Weber. Cf. ici
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