Dans l'homme le plus méchant, il y a un pauvre cheval
innocent qui peine.
Marcel Proust
Commentaire I
J’ai eu envie de laisser telle quelle cette terrible
citation, et de dire « Vous qui lisez cette phrase, décidez vous-mêmes de
ce que vous en penserez, et je sais que vous le ferez : parce qu’une fois
que vous l’aurez lue, vous ne pourrez éviter de vous interroger : le plus
méchant des hommes n’est-il pas en quelque façon, un innocent ? »
Et puis je me suis dit que si je n’ai pas la prétention
de dire à qui que ce soit ce qu’il doit penser, j’ai néanmoins l’intention de
le penser moi-même et d’enfermer ces cogitations dans une cyber-bouteille que
je livre au cyber-océan du web.
L’innocence de la méchanceté… C’est un propos
d’avocat : « N’oubliez pas,
messieurs le jurés, les atroces souffrances subies par mon client dans sa
jeunesse. Les vrais responsables de ses crimes ce sont ses parents – ou les
injustices sociales – Ce sont elles qui l’ont conduit devant vous, messieurs
les Jurés, sur ce banc d’infamie… », etc. On se gardera ici de reprendre
ces propos.
Je souhaite poser le problème d’une autre façon : le
méchant n’est-il pas en réalité quelqu’un qui a voulu faire le bien, mais qui
ne s’est pas rendu compte du mal qu’il faisait ? Comme le dit Platon, Nul n’est méchant volontairement : telle
est l’innocence de celui qui se rend coupable de méchanceté.
Mais qu’importe que le méchant fasse le mal en voulant le
bien ? On sait bien que l’Enfer est pavé de bonnes intentions, mais on sait
aussi que tout homme doit se demander ce qu’il se passerait si chacun faisait
le même choix que lui-même. Hitler voulait « purifier » la race, mais
il ne se demandait pas si ceux-là mêmes qu’il détruisait n’avaient pas aussi le
droit d’exclure de l’humanité des hommes comme lui.
La seule réponse positive connue de moi, c’est Nietzsche
qui l’a donnée : le mal et le bien ne sont que des évaluations – qu’on
peut certes réévaluer, mais qui en réalité dépendent des forces en présence.
Force dominée :
chez Nietzsche, c’est elle qui anime la morale des esclaves. Elle consiste à
dire : Tu es méchant pare que tu me fais souffrir. La méchanceté, c’est ce
que je subis.
Force dominante :
la morale des maitres qui consiste à dire : Je suis bon, et si tu me
résistes, tu es méchant. Le bien n’est autre que l’expression de ma force. Le
mal n’est rien sauf ce qui me lie et m’exténue.
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