Marcel Proust
Quel âge Proust avait-il quand il écrivit ces
lignes ? Parce que ce qu’il évoque, c’est l’angoisse de la jeunesse. Ce
n’est pas à 70 ans qu’on éprouve cette inquiétude – ce qui ne veut pas dire
qu’on soit serein : simplement, à cet âge on se demande plutôt si on sera
encore en vie pour voir le soleil se lever demain matin.
Mais on peut quand même généraliser : Proust nous
livre une clé pour comprendre pourquoi les hommes – et plus particulièrement
les jeunes – ne sont jamais tranquilles devant les choix de l’existence,
pourquoi ils ont conscience de risquer de « manquer leur vie ».
Ecrasante responsabilité.
Toutefois, il y a deux inquiétudes différentes devant ce
risque.
- L’une consiste banalement à se demander si on fait le
choix le plus efface, compte tenu des objectifs qui sont les nôtres. Par
exemple, je suis un sportif de haut niveau, pour moi, la vie c’est la
compétition. Ne pas manquer ma vie, c’est alors faire le choix du bon coach.
- L’autre, plus fondamentale, consiste à se demander si
on a choisi la bonne direction en choisissant le but ultime de notre existence.
Faire de la compétition sportive (ou
autre) la valeur qui doit orienter ma vie, est-ce le bon choix ? N’y
a-t-il pas un risque, une fois ce but atteint, de me sentir déçu parce qu’alors
quelque chose de plus essentiel apparaitrait ? Quelque chose qui serait
désormais hors de ma portée ?
En réalité, il y a ici un dilemme qui est la marque de
tout choix moral. Dilemme parce qu’à la fois nous ne pouvons éviter de choisir, et qu’en même
temps le choix fait s’accompagne toujours d’un renoncement à autre chose – que
nous pouvons aussi regretter (1).
Je sais bien que certains diront qu’ils peuvent
parfaitement éviter de choisir, que leur vie se « gère » au coup par
coup, au jour le jour, évitant ainsi les affres de la vie morale et sa
prétention à nous éviter de « manquer notre vie ». Mais je n’y crois pas,
parce que les choix qui sont faits alors (on dirait aujourd’hui : les
arbitrages) sont dans le court terme, ils supposent une jouissance immédiate du
résultat (sinon pourquoi faire quoique ce soit ?). La valeur qui oriente
donc la vie existe : c’est le plaisir.
Mais à la différence du plaisir épicurien, ici on n’a pas
une « économie du plaisir », puisqu’on reste dans le court terme. On
peut donc parfaitement rater sa vie en sacrifiant le plaisir lointain et continu
à un plaisir immédiat et destructeur.
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(1) Ominis determination est negatio. (Spinoza) – Voir
ici
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