Une morsure est redoutable ; moins qu’une succion. La griffe
n’est rien près de la ventouse. La griffe, c’est la bête qui entre dans votre
chair ; la ventouse, c’est vous même qui entrez dans la bête.
Victor
Hugo – Les Travailleurs de la mer (Texte en annexe)
La
ventouse selon Victor Hugo 1
« La ventouse, c’est vous même qui entrez dans la bête ».
On peut en sourire avec la photo choisie pour illustrer cette idée. Mais
supposez que l’éléphant ait non pas une mais huit trompes ?
Comme on le verra demain, le fantasme de succion est pour Hugo
quelque chose de très fort parce qu’il s’imagine absorbé par une bête étrange.
Ainsi de la pieuvre dont parle notre texte-du-jour (Cf. Annexe) : la pieuvre
ne vous étouffe pas, elle vous phagocyte, elle vous transforme en elle-même en
vous absorbant ; ou plutôt par une mutation liée à cette absorption,
l’homme devient bête, la bête devient homme.
Ce texte terrible ne nous invite pourtant pas à imaginer la
bête humanisée par sa proie. Lorsque votre corps est vidé dans le « sac »
de la bête, il n’est plus rien qui subsiste de vous. Vous êtes détruit par ce
qui vous aliène, mais le pire n’est pas là ; c’est que vous l’êtes par
succion.
Imaginez : mille
bouches infâmes vous aspirent, vous pompent et vous avalent. Elles ne vous
mordent pas, ne vous mâchent pas ne vous déchirent pas. Elles vous imprègnent
de la lymphe de leurs muqueuses, vous noient dans leurs glaires ignobles et
vous avalent.
Vous qui frissonnez en me lisant, vous avez compris de quel
fantasme il s’agit. Dans le monde réel, il est présent dans certains baisers,
le baiser-ventouse, comme le baiser de l’éléphant.
Pour pimenter un peu notre propos, et pour les derniers
indécis, ajoutons que le fantasme fréquent chez l’homme n’est pas seulement celui
du sexe féminin qui le déchire (vagina
dentata), mais aussi qui l’aspire qui l’engloutit, bouche insatiable qui
lui impose de rentrer dans la matrice au lieu d’en sortir : une naissance
à l’envers.
---------------------------------------
Annexe – « Une morsure est redoutable ; moins qu’une
succion. La griffe n’est rien près de la ventouse. La griffe, c’est la bête qui
entre dans votre chair ; la ventouse, c’est vous-même qui entrez dans la bête.
Vos muscles s’enflent, vos fibres se tordent, votre peau éclate sous une pesée
immonde, votre sang jaillit et se mêle affreusement à la lymphe du mollusque.
La bête se superpose à vous par mille bouches infâmes ; l’hydre s’incorpore à
l’homme ; l’homme s’amalgame à l’hydre. Vous ne faites qu’un. Ce rêve est sur
vous. Le tigre ne peut que vous dévorer ; le poulpe, horreur ! vous aspire. Il
vous tire à lui et en lui, et, lié, englué, impuissant, vous vous sentez
lentement vidé dans cet épouvantable sac, qui est un monstre. » Victor
Hugo
No comments:
Post a Comment