Le pouvoir de l’homme s’est accru dans tous les domaines,
excepté sur lui-même.
Winston
Churchill
Depuis l’Ecclésiaste (1) on répète – à peu près – la même
chose : ce qui accroit notre pouvoir accroit aussi notre responsabilité.
Aujourd’hui, moi qui vous parle, me voici en charge de l’avenir de la planète –
moi qui ai déjà mille difficultés à savoir ce qui serait le meilleur pour moi,
pauvre individu !
Suivons sir Winston : on doit estimer que l’absence de
sens moral est inné ce qui fait que l’humanité ne peut s’intéresser aux conséquences
néfastes de ses actes, qu’elle le sait, mais que ça ne l’affecte pas
directement. Que je réchauffe la planète au point que les océans déborderont
dans un siècle, que m’importe ? Après moi le déluge ! Même si les
savants ont raison, avant que le siècle soit passé on aura découvert le moyen
de faire rentrer les océans dans leurs lits.
Mais tout cela c’est encore bien confortable pour nos
esprits. Plus dérangeant est le cas où on sait que la catastrophe est en cours :
on sait ce qu’il faudrait faire pour l’arrêter, mais on ne le fait pas – bien
au contraire. C’est à ce genre de situation qu’on peut supposer que Churchill
fait référence : ne parlait-il pas de la guerre ?
Quand on lit une histoire de la seconde guerre mondiale (2)
on est suffoqué par la révélation des gigantesques efforts produits pour
détruire ou sachant qu’on va être détruits : les avions qu’on met en
chantier aujourd’hui sont destinés à remplacer les chasseurs qui seront abattus
ce soir, pour disparaître à leur tour après-demain. Comment cette
« économie » de guerre est-elle possible ? Quel retour sur investissement
pouvait-on en espérer ? Comment le bon sens marchand ne pouvait-il pas
l’emporter sur cette furie destructrice ? Non, rien ne peut expliquer
cela, sauf l’absence de sens moral des hommes : quand en 1945 certains
américains ont voulu empêcher l’utilisation de l’arme atomique, ce n’était pas
par humanité : ils pensaient que les bombardements au napalm, fraichement
inventé, pouvaient détruire des villes et carboniser des hommes aussi bien que
la « Bombe » sans recourir à une arme nouvelle dont on ne connaissait
pas encore les effets.
Que nous n’ayons pas la maitrise de nous-mêmes, on
l’accepte. Mais pourquoi ne restons-nous pas dans notre coin, à jouer
tranquillement avec nos hochets, sans nous réoccuper d’agir ? C’est Freud
qui nous suggère la réponse : nous avons une formidable pulsion mortifère
qui, lorsqu’elle a pris le dessus, ne nous laisse pas en repos. C’est cela que
nous ne maitrisons pas.
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(1) « Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de
chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur. » (1, 18)
J’aurais pu ajouter Rabelais : « Science sans
conscience n’est que ruine de l’âme » ; mais on l’a déjà évoquée il y a bien longtemps…
(2) Ce que je fais ces jours-ci en lisant la Guerre-monde de Alya Aglan et Robert
Franck : 2500 pages qu’on lit avec passion et terreur et qui sont éditées
chez Folio.
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