Antonin Artaud – Le bilboquet
Que les concepts fassent
écran entre la réalité et nous, c’est une idée fort répandue, qu’Artaud reprend
(peut-être sans y penser). En revanche il la rénove et la magnifie à sa
façon : car au lieu d’insister sur la pâleur des concepts sclérosants et
paralysants, au lieu d’évoquer le monde qui bouge derrière l’écran de fumée des
mots, il se tourne vers la matière quasiment vivante, en tout cas réagissante
et impulsive. (1) Refusant d’opposer la minéralité à la matière vivante, on
pourrait voir le monde comme cela : une matière vivante, qui surgit
d’elle-même, un peu comme le bois ajoute au tronc un tour de plus chaque année,
mais aussi un peu comme la lave surgit du volcan. On serait dans un monde
enchanté où les esprits de la forêt côtoieraient ceux du fleuve ou de la
montagne.
o-o-o
Mais il n’y a pas que cela.
Dans un monde dont la vie s’est retirée, l’homme est malade. Oui, la maladie résulte
de cette coupure entre un monde qui bouge et nous mêmes qui sommes bloqués,
comme dans une carapace qui nous étouffe. On retrouve, comme dans chacun des
écrits d’Artaud la souffrance de cette pathologie d’une vie qui s’étouffe
elle-même qu’il faut ranimer sans cesse parce que nous la détruisons sans
cesse.
Je crois qu’il faut lire
Artaud, ne serait-ce que pour cela : la compréhension intime de la
souffrance de cette maladie qu’est la schizophrénie – ou comme on voudra
l’appeler, peu importe. La pathologie mentale est souffrance, intolérable, sans
issue, elle est cet enfermement qu’Artaud tente de décrire pour s’y sentir
moins seul.
----------------------------------
(1) On croit entendre Diderot
pour qui la matière dont le monde est pétri est vivante, au point d’ailleurs
que ce soit peut-être par elle que nous ayons une destinée post mortem !
Ecoutons-le : « Ceux
qui se sont aimés pendant leur vie et qui se font inhumer l’un à côté de
l’autre ne sont peut-être pas si fous qu’on pense. Peut-être leurs cendres se
pressent, se mêlent et s’unissent. » Diderot - Lettre à Sophie Volland (15
octobre 1759)
Et celle-là : « La
seule différence que je connaisse entre la mort et la vie c’est qu’à présent
vous vivez en masse et que dissous, épars en molécules dans vingt ans vous
vivrez en détail. » Diderot – Idem (Lire ici)
No comments:
Post a Comment