La première chose que fait l’ascidie quand elle a trouvé
l’endroit /ou se fixer définitivement/ c’est de manger son cerveau.
Guilia
Enders – Le charme discret de l’intestin, p.159
Les
Ascidies sont des animaux marins, qui ressemblent à une outre et qui vivent
fixés à un rocher. Au cours de leur métamorphose elles perdent leur cerveau…
Bon, c’est vrai : la métamorphose de l’ascidie est un
peu plus compliquée que cela (1). Mais avouez que la représentation d’un
organisme qui bouffe son cerveau parce qu’il ne lui sert plus à rien à une très
forte valeur symbolique. Et si nous aussi nous perdions ce qui ne nous sert plus, si, comme celui de l’ascidie,
notre cerveau régressait par sous-emploi, ne gardant que les fonctions
nécessaires à la vie de l’organisme ? Rendez-vous compte : même
Molière dans la scène où Toinette engage monsieur Jourdain à se couper un bras
pour donner plus de vitalité à l’autre n’avait pas imaginé une telle
éventualité (2). Voilà donc un nouvelle insulte à mettre à votre
répertoire : traitez ceux qui vous déplaisent non pas d’abrutis mais d’ascidie – vous aurez au moins la satisfaction de voir leur
mine déconfite de n’avoir pas compris l’injure.
Mais il serait un peu plus intéressant de se demander si on n’aurait
pas affaire à une nouvelle vision de l’évolution, qui une fois stabilisée condamnerait
le cerveau à disparaître faute d’emploi. Est-ce si révolutionnaire que
cela ? N’oublions pas Bergson qui avait assimilé la conscience à la
capacité de choisir donc d’innover dans une situation où l’instinct ne suffit
plus (3). Guilia Enders utilise l’exemple de l’ascidie pour établir que le
cerveau n’est nécessaire que là où il y
a mouvement : ainsi l’ascidie s’en débarrasse dès lors qu’elle est
fixée sur son rocher. Mais on pourrait aussi paraphraser Bergson et dire que
l’ascidie a besoin d’un cerveau parce qu’il lui faut choisir entre plusieurs rochers
celui qui sera au bon endroit avec plein de bonnes nourritures tout autour.
Quand c’est fait hop ! plus de cerveau !
Et nous ? Quand nous avons trouvé le bon travail, avec
la bonne épouse, et les bons copains pour la troisième mi-temps, etc : Hop !
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(1) « Après une vie libre de très courte durée
(quelques minutes parfois) ce têtard se fixe sur un support grâce à ses trois
ventouses et se métamorphose. Sa queue disparaît progressivement, la
vésicule cérébrale régresse pour ne laisser qu’un simple ganglion assurant
la coordination du travail mécanique de l’animal. Les organes de l’adulte
apparaissent, la bouche se perce, les deux cavités péribranchiales fusionnent
en entourant le pharynx, l’orifice des deux cavités forme le siphon cloacal
dans lequel vient s’ouvrir l’intestin. L’ensemble subit ensuite une rotation de
180°, la bouche se retrouve à l’opposé des ventouses, ces dernières
s’étalent sur le substrat et forment le pied ou post-abdomen. » Lire ici
(2) « Toinette – Que diantre faites-vous de ce
bras-là ? Argan – Comment ?
Toinette – Voilà un bras que je me
ferais couper tout à l'heure, si j'étais que de vous. Argan – Et pourquoi ? Toinette
– Ne voyez-vous pas qu'il tire à soi toute la nourriture, et qu'il empêche ce
côté-là de profiter ? » Molière – Le Malade imaginaire – Acte III,
scène 10
(3) « Si
conscience signifie mémoire et anticipation, c'est que conscience est synonyme
de choix » Bergson – L’énergie spirituelle. Lire ici
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