Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires
Montesquieu
Esprit des lois (Livre 29 chapitre 16)
Cité
par Cécile Duflot à l’Assemblée Nationale le 5 février 2016
(Débat
sur le projet de réforme constitutionnelle portant création de la déchéance de
nationalité pour tous)
Il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante.
Montesquieu – Lettres
persanes (lettre 79) (1)
On a beaucoup cité Montesquieu ces temps-ci et l’on a
raison : légiférer suppose qu’on ait l’idée de ce qu’est une loi, de ce
qui la fonde et de la portée qu’elle doit avoir. Et c’est d’autant plus
nécessaire qu’en modifiant (comme on se le propose aujourd’hui) la constitution
on doit être conscient de la hiérarchie des lois et de ce qui distingue la loi
qui fonde de la loi fondée.
Toutefois sans entrer dans ces arguties juridiques, on doit
garder présents en mémoire les principes généraux sur les quels Montesquieu
s’appuie ici et que l’on rappelle dans nos citations-de-ce-jour.
1 - D’abord, on ne change pas les lois sans un motif sérieux
et incontournable.
Pour Montesquieu nous vivons dans un monde dont l’histoire constitue
un répertoire de situations possibles et non la description d’une évolution
irréversible : du coup, les lois sont pratiquement inamovibles. Une fois
énoncées et calées sur la réalité sociale visée, inutile et donc dangereux de
la modifier ; seules des révolutions le justifieraient et on sait que Montesquieu
n’est pas l’homme de tels bouleversements.
2 - De plus, modifier les lois, c’est les affaiblir en
donnant l’image de décisions susceptibles de varier selon la volonté du
souverain. On se rapprocherait ainsi du despotisme, régime illégitime où le
despote légifère parce que « tel est son bon vouloir ». Dans le
contexte actuel c’est le reproche qu’on fait à un pouvoir qu’on soupçonne de
manœuvrer dans une perspective politicienne
3 - Enfin, à supposer que l’occasion s’en présente, il faut
s’assurer que la loi nouvelle ne contredise pas les lois précédentes, qu’elle soit
conforme à leur esprit. Du coup, il est inutile d’ajouter je crois que la
déchéance de nationalité « réservée » à quelques citoyens déroge au
principe républicain d’égalité de ceux-ci devant la loi – de même qu’elle
déroge aux principes internationaux dès lors qu’on veut rétablir l’égalité.
Occasion de rappeler que si l’on accuse le Front National
d’être antirépublicain, c’est justement parce qu’il ne respecte pas ce pacte
fondamental de la République.
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(1) Plus exactement : « Il est vrai que, par une
bizarrerie qui vient plutôt de la nature que de l’esprit des hommes, il est
quelquefois nécessaire de changer certaines lois. Mais le cas est rare, et,
lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante : on y doit
observer tant de solennités et apporter tant de précautions que le peuple en
conclue naturellement que les lois sont bien saintes, puisqu’il faut tant de
formalités pour les abroger. » Montesquieu – Lettres persanes, lettre 79
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