Tuesday, April 12, 2016

Citation du 13 avril 2016

Plusieurs personnes sentent mauvais : obligées de vivre ensemble, elles conviennent de porter des odeurs fortes. Voilà en partie la politesse.
Gabriel Sénac de Meilhan – Considérations sur l'esprit et les mœurs
On a deux interprétations possibles de cette citation : selon l’une, ces odeurs auraient pour but principal de repousser les gens du voisinage pour libérer un espace de vie plus confortable à celui qui les porte. Selon l’autre ces « parfums » auraient pour office de masquer les mauvaises odeurs dégagées par le corps humain (un peu comme on suce un cachou pour parfumer une mauvaise haleine).
Pour choisir la quelle conviendra, plongeons dans l’histoire du Grand Siècle : on raconte qu’à l’époque de Louis XIV l’odeur qui régnait dans les salons de Versailles était si incommodante  que le roi lui-même demandait qu’on ouvre les fenêtres. Les mémorialistes ajoutent que c’était en raison des parfums extrêmement forts qu’on affectionnait alors, à base de civette et de musc – mais on dit aussi que ces parfums étaient appréciés surtout parce qu’ils étaient assez puissants pour masquer les odeurs sui generis des corps humains. Dont acte.

La politesse donc ne consiste pas à changer quoi que ce soit à notre comportement mais à en épargner les voisins en affectant une attitude conventionnelle de bienséance. Même un grossier personnage peut l’espace d’un instant s’effacer pour laisser passer devant lui une dame, la quelle ne manquera pas de le remercier d’un bref mouvement de tête, même si peu avant et en privé elle disait des horreurs à son propos.
On ne reviendra pas sur l’idée (développée par Schopenhauer – Lire ici La fable des hérissons) selon la quelle la politesse consiste à maintenir les autres à distance. On insistera plutôt sur l’idée que la politesse est ce qui matérialise l’écart entre la sphère privée et la sphère publique. En privé, n’est-ce pas, on peut tout se permettre ; en public, c’est tout le contraire, et nous devons nous soumettre aux règles de la bienséance.

Si nous cherchons un équivalent contemporain, pensons aux hommes politiques qui en présence des journalistes disent en « off » ce qu’ils ne diraient jamais en conférence de presse. Le off a ceci de particulier qu’il peut fort bien être rapporté : le journaliste qui publie ces propos ne commet pas une faute professionnelle ; tout juste est-ce une indélicatesse. Par contre cette révélation a un poids particulier parce que ce qu’elle révèle est considéré comme privé donc comme étant plus authentique – puisque sans le masque de la langue de bois. Voyez Alceste qui refuse de déguiser par politesse ce qu’il pense des autres : on lui en tient rigueur, même si on se doute bien de toute façon du contenu véritable de sa pensée ; mais elle ne devait pas être révélée.

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