On aura beau informatiser, normaliser; chaque bibliothèque
conservera son odeur spécifique, sa stratégie, ses sésames et ses secrets.
Nicolas
Bouvier / Œuvres, 2004
Un livre, cela se dévore et se hume, c’est un parfum qui est
une nourriture, une odeur qui est un incendie.
Hubert
Juin – Le Double et la doublure (cité le 25 février 2012)
Il y a donc des fétichistes du livre comme il y en a de la
chaussure ? Des gens qui pleurent parce qu’on n’a plus besoin de couper
les pages du livre neuf, en profitant pour palper le papier, glaner des bouts
de phrases en bas de pages, et respirer son odeur ? Qui vont
chez les bouquinistes non pour acheter mais pour voler ce parfum poussiéreux ?
Oui, il y a eu cela. Maintenant qu’en reste-t-il ? Les
liseuses sont entrain de supplanter le livre-papier, les bibliothèques sont
devenues des médiathèques et les livres empruntés ne sont plus que des
« documents ». Mais qu’importe ? Selon notre auteur-du-jour,
chaque bibliothèque – médiathèque ou pas – est un bastion de résistance de
l’ordre humain, une survivance du livre, une organisation liée à une
classification érudite (1) et non à la mise en ordre alphabétique effectuée par
le moteur de recherche local. D’ailleurs, le fait d’être obligé de percer le
mystère de cette organisation contraint à entrer dans l’intimité des livres, un
peu comme l’orchidée qui force l’insecte butineur à se frotter aux méandres de
sa corolle pour en ressortir chargé de pollen.
Doit-on dire que le livre cristallise ce combat acharné
contre la machine que livrent des hommes nostalgiques des plaisirs
passés ? Peut-être pas tout à fait, car les livres et les bibliothèques
qui les réunissent sont des lieux de sociabilité, ou on se retrouve, où on parle
des lectures faites, des lectures à faire, où le plaisir de la lecture peut
être un plaisir partagé.
Je n’ai rien contre les plaisirs solitaires ; mais à
plusieurs, c’est mieux.
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(1) On aura reconnu la CDU, Classification décimale
universelle. Voir ici
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