A se dire tous ces petits riens qui ne
valent pas la peine d’être dits, mais qui valent la peine d’être entendus.
Jean
Giraudoux
Voilà un joli paradoxe : quelle
étrange mutation transforme le vil plomb des mots ordinaires en or des sublimes
déclarations indispensables à la vie ? A quel moment ces mots, dans leur
voltige qui les mène des lèvres qui les prononcent aux oreilles qui les
entendent, viennent-ils à changer de nature ?
La poésie … que faire de la
poésie ? N’est-ce pas elle qui opère cette transmutation en faisant
jaillir de leur choc les étincelles de la vérité comme disait Descartes
(1) ? Ah… Peut-être bien faut-il de la poésie pour donner à entendre
certaines de ces vérités, oui. Mais c’est trop compliqué, trop lointain pour
être entendu de tous instantanément. De fait il ne s’agit pas forcément de
faire jaillir la vérité : il faut
aussi montrer que la chose dont on parle existe, dans l’instant même où on la
dit. Il nous faut des performatifs (voir ici).
Les mots d’amour sont des
performatifs : dire « Je t’aime » c’est aimer ; ces
mots-là, qui normalement ne devraient pas être dits – ou du moins pas être
répétés indéfiniment – sont des manières d’être de l’amour.
« Je t’aime » produit une vibration de l’air qui est solidaire de
l’amour – dans certaines circonstances du moins. Par exemple entre jeunes
amoureux qui se sont prouvé leur amour par maintes caresses ou baisers, et qui
maintenant échangent des serments d’amour sur un fond de soleil couchant ou sur
un quai de gare. Bref, certains mots sont bien plus que des signes
linguistiques. Leur banalité n’a aucune importance, leur répétition ne les
prive pas de leur force.
Oui, mais du coup, dire « Je
t’aime » sans y penser c’est prendre un gros risque, celui d’être entendu
comme l’amour-qui-parle.
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(1)
« Car il ne croyait pas qu'on dût s'étonner si fort de voir que les poètes,
mêmes ceux qui ne font que niaiser, fussent pleins de sentences plus graves,
plus sensées, et mieux exprimées que celles qui se trouvent dans les écrits des
Philosophes. Il attribuait cette merveille à la divinité de l'enthousiasme, et
à la force de l'imagination, qui fait sortir les semences de la sagesse (qui se
trouvent dans l'esprit de tous les hommes, comme les étincelles de feu dans les
cailloux) avec beaucoup plus de facilité, et beaucoup plus de brillant même,
que ne peut faire la Raison dans les Philosophes. » - Descartes, Olympiques
(Récit de Baillet)
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