L'homme
vertueux a le devoir de s'aimer lui-même.
Aristote
Voilà quelque
chose que notre culture chrétienne nous a rendu inintelligible : l’amour
de soi prôné comme une vertu. Car ici la vertu ne réside pas dans l’oubli
de soi-même au profit du souci de l’Autre ; elle résulte du souci de soi (comme dit Michel Foucault),
condition préalable à l’estime de soi.
L’homme
chrétien sait qu’il est devenu détestable depuis le péché originel ; si appelle
l’amour ce ne peut être que celui de Dieu, mais avant d’y parvenir il a beaucoup
à faire pour redevenir vraiment aimable et cela passe par beaucoup de charité,
c’est à dire d’amour du prochain. Mais la pensée grecque – celle d’Aristote en
particulier – est bien différente. Il s’agit de faire ce qui rehausse notre valeur
et notre puissance – notre vertu
comme on dit à l’époque. Et pour cela l’amour de soi est nécessaire non
seulement pour nous rendre soucieux de notre perfection, mais encore pour nous concentrer
sur ce qui a vraiment de l’importance. Si l’autre n’est pas absent de cette recherche,
du moins n’est-il pas prioritaire dans cette quête et d’ailleurs il intervient
plus comme moyen que comme fin ; qu’on ne se laisse pas tromper par
l’affirmation aristotélicienne « l’homme
est un animal politique » car il ne s’agit pas de rencontrer nos
concitoyens mais d’être façonné par la culture de notre Cité.
Alors bien
sûr nous avons le détestable exemple d’égocentrisme de Narcisse. Toutes fois ce
mythe symbolise non pas l’égoïsme et son stérile objet, mais il incarne
l’exemple de l’amour impossible. Car pour aimer il faut posséder, et pour
posséder il faut étreindre. Or voilà : Narcisse ne peut s’étreindre
lui-même : comment aurions-nous pour devoir ce que personne ne pourrait
faire ?
Mais cet
exemple peut-il nous éclairer ? Le propre de Narcisse, c’est qu’il reste
dans le registre de l’amour-Eros, cet
amour qui est captation et consommation. Or, si l’amour de soi a une dimension
morale, c’est qu’il est amour-agapè,
amour qui relève de la contemplation et de la bienveillance. Or nous l’avons
dit, la vertu est ce qui nous donne plus de force, plus de valeur, plus de
bonheur ; il s’agit d’une technique de vie, qui impose effort, tension,
connaissance, et si nous avons le devoir de nous améliorer, nous avons aussi
celui de nous aimer, car la valeur rend aimable. Pourquoi irais-je l’aimer chez
les autres et la détester chez moi ?
Le problème
selon Aristote, c’est de se connaître soi-même suffisamment pour reconnaître sa
vertu quand elle est présente et de faire qu’elle advienne si elle ne l’est
pas. C’est pour cela que les amis nous sont nécessaires : pour nous
montrer par la ressemblance qu’ils ont avec nous, ce que nous sommes
réellement.
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