La vigilance et la présence du maître engraisse le cheval et
la terre.
Pierre
Charron – Le traité de la sagesse (1601)
Est en effet esclave par nature celui qui est destiné à être
à un autre (et c'est pourquoi il est à un autre) et qui n'a la raison en
partage que dans la mesure où il la perçoit chez les autres mais ne la possède
pas lui-même.
Aristote
– Les politiques I, ch. 5
Prenons cet aphorisme de Charron pour ce qu’il est
probablement : un éloge du pouvoir du seigneur qui est censé par sa seule
présence et par son sage gouvernement enrichir et le pays et ceux qui
l’habitent – sachant que ces derniers sont en même temps ceux qui font le
travail, tout comme le cheval est celui qui laboure (la présence du maître engraisse le cheval)
Depuis Aristote, le même principe est à l’œuvre : le
maitre est bénéfique à l’esclave supposé ne pouvant survivre à sa propre
imperfection. (1)
- Allez : on relit son argumentation :
« - D'une part
les animaux domestiques sont d'une nature meilleure que les animaux sauvages,
d'autre part, le meilleur pour tous est d'être gouvernés par l'homme car ils y
trouvent leur sauvegarde. » : l’animal est incapable de se gouverner sans maitre.
- Lisons
la suite :
« - De même, le
rapport entre mâle et femelle est par nature un rapport entre plus fort et plus
faible, c'est-à-dire entre commandant et commandé. »: les femmes sont dans la même situation que les animaux par rapport à aux hommes...
- Développons :
- Développons :
« - Il en est
nécessairement de même chez tous les hommes. Ceux qui sont aussi éloignés des
hommes libres que le corps l'est de l'âme, ou la bête de l'homme (et sont ainsi
faits ceux dont l'activité consiste à se servir de leur corps, et dont c'est le
meilleur parti qu'on puisse tirer), ceux-là sont par nature des esclaves; et
pour eux, être commandés par un maître est une bonne chose, si ce que nous
avons dit plus haut est vrai. Est en effet esclave par nature celui qui est
destiné à être à un autre (et c'est pourquoi il est à un autre) et qui n'a la
raison en partage que dans la mesure où il la perçoit chez les autres mais ne
la possède pas lui-même. » (Aristote – Les politiques, L. I, ch. V) : si l’esclave est le corps, le maitre est son âme...
On pourrait hausse les épaules : " Tout ça, c’est une rhétorique
juste destinée à justifier l’existence de l’esclavage en disant qu’il est
heureux pour eux d’être en servitude parce que, sans leur maitre, ils ne
sauraient vivre libres." Bien sûr, on aura remarqué que le même raisonnement est
développé à propos des femmes, et que, aujourd’hui encore, certains n’hésitent
pas à redire à leur propos ce que disait Aristote il y a 24 siècles. Oui, là
encore on hausse les épaules, en pensant que ce sont là des attardés de
l’histoire, qu’ils sont montés dans le wagon de queue et qu’ils n’ont pas vu que
le train était parti sans eux…
Sauf que, ce qu’on justifie ici, c’est en réalité le droit
du plus fort, puisqu’on assimile la force à l’excellence ; s’incliner
devant elle est un devoir, quand bien même l’issue d’un affrontement
demeurerait douteuse. Contre quoi il faut dire que l’existence d’un droit du moins fort est le critère de la
justice.
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(1) Notez quand même cette concession d’Aristote :
« il (= l’esclave) la perçoit (= la raison) chez les autres (= les
maitres) mais ne la possède pas lui-même. »
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