Si je ne
pense plus, alors je ne suis plus.
Maylis de Kerangal – Réparer les vivants.
(page 44)
Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps
? A savoir, autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire,
si je cessais de penser, que je cesserais en même temps d’être ou d’exister.
Descartes
– Seconde méditation métaphysique
Voilà ce que
raconte Maylis de Kerangal : en 1959, lors de la 23ème réunion
internationale de neurologie, Maurice Goulon et Pierre Mollaret montent à la
tribune et déclarent ceci : « l’arrêt
de cœur n’est plus le signe de la mort, c’est l’abolition des fonctions
cérébrales qui l’atteste. » D’où la remarque de notre auteure,
retrouvant le propos de Descartes dans la Seconde méditation : Si je ne pense plus, alors je ne suis plus.
(1)
Revenons en
1959 : cette déclaration constitue la troisième migration dans le corps
humain du signe indicatif de la mort. Elle fut autrefois attestée par la
disparition du souffle, signe que l’âme avait quitté le corps après l’ultime soupir
du moribond. Puis on considéra que le battement du cœur était l’indice de la
mort, puisque le sang ne circulait plus. Mais voilà que le cœur peut continuer
de battre, soutenu par la machinerie médicale, mais pour autant les
électroencéphalogrammes restent plats (deux enregistrements de 30’ effectués à
4 heures d’intervalles) montrant que le cerveau est mort : c’est la mort
du cerveau qui implique la mort du corps tout entier.
Il ne s’agit
donc pas de dire que l’arrêt du cœur ne constitue pas un indice de la
mort ; mais que ses battements ne sont plus une preuve suffisante de vie. On
a soupçonné la médecine d’avoir opportunément modifié la définition de la mort
pour rendre possibles les transplantations d’organes, en insinuant un hiatus
entre la survie du cœur et la mort du cerveau : le roman de Maylis de
Kerangal nous fait vivre les bouleversements subis par les parents d’un fils
pris dans cette faille. On y voit ces malheureux refuser l’idée que leur enfant
qui respire et dont le cœur bat soit en réalité parfaitement mort.
Dans son
développement humain, l’embryon possède un cœur qui bat avant même d’avoir un
cerveau ; ce cœur battait donc sans avoir besoin de pulsions électriques
venues de l’encéphale. Puis celui-ci se développant peu à peu et gouvernant
désormais le corps tout entier, c’est sous son contrôle que la vie humaine
s’est développée, que notre cœur s’est mis à battre au rythme de nos émotions
de nos amours et de nos chagrins – sauf que c’est quand même ce cœur autonome
qui continue de battre dans nos poitrines. En redéfinissant la mort, on
considère malgré tout que ce sont les fonctions supérieures de la vie organique
qui accompagnent la vie – vie qui disparait avec elle.
Et si nous ne
mourions que par petits morceaux ? Si dépouillé par la mort de ce qui fait
un être humain, le cerveau, la conscience, la sensibilité, nous pouvions
continuer à vivre comme une amibe ?
Demandez son
avis à la mère de Vincent Lambert…
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(1) Toutefois,
l’intention de Descartes n’étant pas de définir la mort, il conclut par la
réciproque, à savoir que la vie s’accompagne à tout moment de la pensée (sous toutes ses formes que nous
n’énumèrerons pas ici).
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