Celui qui
aime peut encore rester clairvoyant, mais celui qui est amoureux sera
irréparablement aveugle aux défauts de l'objet aimé bien que d'ordinaire il
recouvre la vue huit jours après le mariage
Kant – Didactique anthropologique, § 74
Il y a des
gens qui s’amusent à enchâsser des citations dans des cartouches ornés du
portrait de l’auteur. Pourquoi pas ? Reste que l’image de Kant parlant de
l’amour comme d’un aveuglement vérifie de façon cruelle son propos : il faudrait
en effet une dame bien myope pour tomber
amoureuse d’un homme qui parait si sévère…
Mais ce n’est
pas cela qui me préoccupe : il s’agit plutôt d’un citation qui contient une « vanne » (1)
qu’on n’aurait pas crûe possible de la part d’un philosophe si rigoureux. Car
n’est-ce pas, le mariage doit être une institution bien cruelle pour à la fois
rendre la vue aux amoureux et pour en même temps les emprisonner dans des liens
indéfectibles (2).
Et si en
effet cette prise de conscience, cette lucidité venait effectivement du
mariage, et non du temps passé qui use tout y compris les passions les mieux
enracinées ? Les amants sont mariés : au bout de huit jours,
qu’est-ce qui a changé ?
- Moi, je
dirais volontiers : la sécurité. Les époux sont liés par des liens dont on
a dit qu’ils étaient indéfectibles. Finies les transes de l’amant qui se
demande si sa Dulcinée l’aime encore ! Finis ces efforts pour la
reconquérir à chaque rencontre. Chaque matin : « Bonjour Chérie,
as-tu bien dormi ? » Au fond ce qui est désirable, c’est ce qui n’est
pas en notre possession. Le bien-aimé, c’est l’homme qui part au petit matin
après une nuit d’ébats torrides ne laissant derrière lui que son parfum.
Au fond on se
demande si Kant ne nous transmettrait pas un message subliminal, du
genre : « Ne vous mariez pas, vivez dangereusement des amours
incertaines ; là est le vrai bonheur ! »
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(1) Sur la
vanne voir ce post ici.
(2) Sur
l’aveuglement amoureux on pense à la cristallisation stendhalienne (voir ici)
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