Le sujet
s'éloigne du verbe et... le complément direct vient se poser quelque part dans
le vide.
Samuel Beckett – Malone meurt (1948)
Un verbe sans
sujet peut-il avoir néanmoins un complément direct ? Autrement dit :
une action qui n’a pas été voulue pour cela, peut-elle néanmoins produire des
effets considérables ?
On pourrait
songer à la tournure impersonnelle, comme lorsqu’on dit « il pleut ». Verbe sans sujet, qui
produit un effet (ça mouille), mais dont on peine à distingue le sujet (absent)
de l’effet (non-dit).
Il est vrai
que Beckett ne dit pas qu’il n’y a pas du tout de sujet, mais simplement qu’il
s’éloigne du verbe. Un peu comme lorsqu’on dit qu’on a provoqué indirectement
un effet qu’on n’avait ni voulu, ni imaginé. C’est bien une action qui a
produit cela, mais elle n’a pas d’auteur proprement dit.
Or, une
action sans cause est absurde, non pas parce qu’elle est contingente, mais surtout
parce que nulle volonté ne vient lui donner un sens. Le petit enfant qui a
cassé le vase en cristal dit : « Ce
n’est pas moi ! » alors que tout le monde l’a vu escalader le
fauteuil et tomber sur la table du salon – oui,
d’une certaine façon c’est lui ; mais non
ce n’est pas lui parce qu’il n’a pas voulu ce qui s’est passé.
Les progrès
de la science consistent à allonger la chaine de causalité à l’origine d’un
fait : de même que pour comprendre l’existence de la planète on remonte à
présent aux tous premiers moments de la formation du système solaire, ou qu’on
découvre l’origine de la vie dans les molécules trouvées sur la comète, on
dilue à présent le sens qu’on pourrait donner aux actions humaines. C’est ainsi qu’à
mesure qu’on nous dévoile les causes de nos actes, nous perdons de vue les
responsabilités humaines qu’ils supposent. Voici des adolescents de 16 ans devenus djihadistes ? Quelques chromosomes tordus, un peu
d’ADN faisandé - plus un papa au chômage et une maman dépressive (avec ses 12 enfants on la comprend) - et voilà qu’il faut chercher ailleurs que dans les individus la
raison de leurs gestes. Ce gamin qui a égorgé des policiers a été embobiné par
des faux religieux, mais c’est aussi parce qu’il n’a pas trouvé de repères dans
sa famille, dans ses éducateurs et ses jeunes compagnons.
Bref : à
mesure qu’on approfondit la recherche, le sujet s’éloigne toujours plus du
verbe.
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