Toutes les
choses qu’on ferait volontiers, qu’il n’y a aucune raison apparemment pour ne
pas faire et qu’on ne fait pas ! Ne serait-on pas libre ?
Samuel Beckett – Molloy
… il nous est
toujours possible de nous retenir de poursuivre un bien clairement connu ou
d'admettre une vérité évidente, pourvu que nous pensions que c'est un bien
d'affirmer par là notre libre arbitre.
Descartes – Lettre au père Mesland 9
février 1645
On lira (ici en entier) le texte de Descartes : il est tellement clair que Beckett
semble le paraphraser. Par exemple, faire le mal n’est pas forcément l’effet d’un
penchant pervers, mais peut résulter d’une expérience philosophique par la
quelle nous cherchons à prouver que notre liberté existe.
Cette expérience
montrerait qu’aucun motif n’est suffisant pour déterminer nécessairement notre
action ; mais du coup, ne
tombe-t-elle pas sous le coup de la critique de l’acte gratuit qui nécessite également
une absence totale de motivation ? Comme le dit Descartes, lorsque je souhaite
faire cette expérience, c’est parce que je considère comme un bien de prouver l’existence de ma liberté : cette
vérification ne serait-elle pas un bien plus
grand que celui au quel je renonce volontairement ? Dans ce cas, je ne ferais qu’obéir à ma raison et
non expérimenter ma liberté d’indifférence.
Vérifions :
- Oui, mon amour, je t’aime et je te considère
comme la lumière de ma vie : sans toi je suis plongé dans les ténèbres. Pourtant,
vois-tu, je vais te quitter : je dois me prouver que je suis encore libre
de le faire, que ma passion pour toi ne m’a pas encore complètement subjugué.
Oh certes, je serai malheureux jusqu’à la
fin de mes jours, mais en même temps j’aurai quand même la conviction d’être
libre, et du fond de mon désespoir, j’aurai la certitude d’avoir fait quelque
chose uniquement par liberté.
Vous n’êtes
pas tenté par l’expérience ? C’est vrai que ça coince quand même un peu…
Chacun fait ce
qu’il veut de sa liberté, c’est évident.
Pourtant notre amant n’a sans doute pas
lu Descartes jusqu’au bout (texte référencé ci-dessus) ; car Descartes
estime qu’il y a différentes formes de libertés et qu’une hiérarchie existe entre
elles : la liberté éclairée (faire le bien dès lors qu’on
le connaît) est supérieure à la liberté
d’indifférence. Il y a toutefois une relation entre ces deux libertés :
faire le bien n’est une liberté que dans la mesure où ce n’est pas un
déterminisme mécanique ; dès lors, à chaque fois que je prends une telle
décision (faire le bien), je dois savoir que je pourrais faire exactement le
contraire (= le mal).
Reprenons le
monologue de l’amoureux :
- Oui, mon amour, je
t’aime et je te considère comme la lumière de ma vie etc… /j’abrège/.
Pourtant je tremble parce que j’ai peur
de te perdre. Oh ! J’ai confiance en toi je ne crois pas que tu
veuilles me quitter. C’est de moi que j’ai peur : car, vois-tu je suis un
être libre et je me sais capable de t’abandonner rien que pour me prouver que
je suis libre de choisir y compris ce qui serait mauvais pour moi.
Mais ne crains rien : cette angoisse
me suffit pour savoir que je suis encore un être libre.
Voilà :
c’est quand même plus sympa comme ça ?
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