Tuesday, November 15, 2016

Citation du 16 novembre 2016

Que foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ?
Michel Serres – Petite poucette – La génération mutante (Interview liberation.fr)
Lire l’extrait en Annexe. Le texte complet est ici.
C’est une question qu’on se pose effectivement lorsqu’on réfléchit aux capacités intellectuelles de nos ancêtres les homo sapiens du paléolithique,  en constatant que certains de nos problèmes pratiques – comme comprendre les symboles qui nous entourent et réagir à leur présence – ne les concernaient pas, et donc qu’une part de leur cerveau restait inemployée. Car telle est bien la question de Michel Serres : Que foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ?
A cette question on peut répondre qu’ils travaillaient quand même mais qu’ils faisaient autre chose. Prenons le cas des aveugles : la zone de leur cortex habituellement impliquée dans la vision ne reste pas au repos ; elle s’adapte en devenant apte à discerner des messages auditifs ou sensoriels : si les aveugles ne voient pas, leur cerveau est quand même totalement employé, la zone qui ne sert plus à voir servant alors à entendre où, plus généralement, à ressentir (1).

C’est bien l’idée de Michel Serres : le cerveau est totalement impliqué dans la relation au monde, et si désormais nous ne lisons plus de livres (par hypothèse la Petite Poucette dont nous parlions hier, ne mettra jamais les pieds dans une bibliothèque), nous aurons bien d’autres difficultés nouvelles à régler et notre cerveau se transformera pour s’y adapter. Ce qui est nouveau, comme le souligne Michel Serres, c’est qu’on admet aujourd’hui que ces transformations du cerveau sont physiques, et non l’application laborieuse à une réalité nouvelle d’un organe définitivement établi, qui ne pourrait plus évoluer après 20 ans. La conséquence philosophique de cela, c’est que l’homme en fabriquant des artefacts, fabrique en même temps, sans le savoir, les organes qui vont servir à s’y adapter.
Du coup voilà le transhumanisme relégué au rayon des banalités. Car l’homme augmenté existe depuis que l’espèce humaine a commencé à modifier son environnement au-delà de ce que ses capacités du moment permettaient de réaliser. C’est qu’alors, les hommes n’ont pas seulement à s’adapter à leur environnement naturel, mais aussi aux modifications qu’ils y inscrivent. Comme on l’a vu une telle situation est intervenue avec l’invention de l’écriture.
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(1) On fait aussi état d’un mystérieux pouvoir des aveugles à discerner quand même ce que les autres peuvent voir. Cf. ici
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Annexe

« Ce que l’on sait avec certitude, c’est que les nouvelles technologies n’activent pas les mêmes régions du cerveau que les livres. Il évolue, de la même façon qu’il avait révélé des capacités nouvelles lorsqu’on est passé de l’oral à l’écrit. Que foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ? Les facultés cognitives et imaginatives ne sont pas stables chez l’homme, et c’est très intéressant. C’est en tout cas ma réponse aux vieux grognons qui accusent Petite Poucette de ne plus avoir de mémoire, ni d’esprit de synthèse. Ils jugent avec les facultés cognitives qui sont les leurs, sans admettre que le cerveau évolue physiquement. » Michel Serres

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