Que foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ?
Michel
Serres – Petite poucette – La génération mutante (Interview liberation.fr)
Lire
l’extrait en Annexe. Le texte complet est ici.
C’est une question qu’on se pose effectivement lorsqu’on réfléchit
aux capacités intellectuelles de nos ancêtres les homo sapiens du paléolithique,
en constatant que certains de nos problèmes pratiques – comme comprendre les
symboles qui nous entourent et réagir à leur présence – ne les concernaient
pas, et donc qu’une part de leur cerveau restait inemployée. Car telle est bien
la question de Michel Serres : Que
foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ?
A cette question on peut répondre qu’ils travaillaient quand
même mais qu’ils faisaient autre chose. Prenons le cas des aveugles : la
zone de leur cortex habituellement impliquée dans la vision ne reste pas au
repos ; elle s’adapte en devenant apte à discerner des messages auditifs
ou sensoriels : si les aveugles ne voient pas, leur cerveau est quand même
totalement employé, la zone qui ne sert plus à voir servant alors à entendre où,
plus généralement, à ressentir (1).
C’est bien l’idée de Michel Serres : le cerveau est
totalement impliqué dans la relation au monde, et si désormais nous ne lisons
plus de livres (par hypothèse la Petite
Poucette dont nous parlions hier, ne mettra jamais les pieds dans une
bibliothèque), nous aurons bien d’autres difficultés nouvelles à régler et
notre cerveau se transformera pour s’y adapter. Ce qui est nouveau, comme le
souligne Michel Serres, c’est qu’on admet aujourd’hui que ces transformations
du cerveau sont physiques, et non l’application
laborieuse à une réalité nouvelle d’un organe définitivement établi, qui ne
pourrait plus évoluer après 20 ans. La conséquence philosophique de cela, c’est
que l’homme en fabriquant des artefacts, fabrique en même temps, sans le
savoir, les organes qui vont servir à s’y adapter.
Du coup voilà le transhumanisme relégué au rayon des banalités.
Car l’homme augmenté existe depuis que l’espèce humaine a commencé à modifier
son environnement au-delà de ce que ses capacités du moment permettaient de
réaliser. C’est qu’alors, les hommes n’ont pas seulement à s’adapter à leur
environnement naturel, mais aussi aux modifications qu’ils y inscrivent. Comme
on l’a vu une telle situation est intervenue avec l’invention de l’écriture.
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(1) On fait aussi état d’un mystérieux pouvoir des aveugles
à discerner quand même ce que les autres peuvent voir. Cf. ici
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Annexe
« Ce que l’on sait avec certitude, c’est que les
nouvelles technologies n’activent pas les mêmes régions du cerveau que les
livres. Il évolue, de la même façon qu’il avait révélé des capacités nouvelles
lorsqu’on est passé de l’oral à l’écrit. Que foutaient nos neurones avant
l’invention de l’écriture ? Les facultés cognitives et imaginatives ne sont pas
stables chez l’homme, et c’est très intéressant. C’est en tout cas ma réponse
aux vieux grognons qui accusent Petite Poucette de ne plus avoir de mémoire, ni
d’esprit de synthèse. Ils jugent avec les facultés cognitives qui sont les
leurs, sans admettre que le cerveau évolue physiquement. » Michel Serres
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