Ce qui est moral est ce que vous trouvez bon après et ce qui
est immoral est ce que vous trouvez mauvais après...
Ernest
Hemingway – La mort dans l'après-midi
Selon Hemingway, la morale est une affaire de conscience –
d’état de conscience – et non de jugement de valeur. Les affres du dilemme de
Rodrigue (1) n’ont donc rien à voir avec cette morale-là, puisqu’il faut avoir
déjà agi pour connaitre la valeur de ce qu’on vient de faire.
On pourrait à bon droit s’en offusquer : est-ce
qu’Hemingway se moque de nous non seulement en atomisant le bien et le mal,
devenus des états affectifs propres à chaque individu, mais encore en suggérant
que la morale est du domaine de l’après-coup, quand le mal (ou le bien) est
déjà fait. Le mal : culpabilité irrécupérable ; le bien : plaisir
peut-être imprévu. Autant jeter toutes les valeurs aux orties et de vivre sans
boussole ni retenue.
A moins qu’on soit à un niveau un peu plus
sophistiqué : oui, certes, vous allez réfléchir au sens de votre action,
et choisir en fonction de valeurs reconnues et révérées par votre conscience.
Comme Rodrigue, vous allez dire : « Courons
à la vengeance ; / Et tout honteux
d'avoir tant balancé, / Ne soyons plus en peine, / Puisqu'aujourd'hui mon père
est l'offensé, / Si l'offenseur est père de Chimène. ».
Mais après ? Je veux dire : la morale n’est-elle
pas aussi dans l’après-coup ?
L’émotion de l’action n’est-elle pas aussi
une évaluation, induisant une ambivalence morale dans la quelle se débat le
Cid : fierté d’avoir choisi le camp de la valeur et désespoir d’avoir pour cela renoncé au plaisir.
Faut-il croire que la morale des valeurs et celle des
sentiments sont les mêmes ? Il reste toutefois au moins deux différences
entre la seconde et la première :
- On ne choisit pas ses sentiments : bonheur ou malheur
ils s’imposent à nous. Voici une morale dans la quelle nous n’avons plus à
choisir, plus à décider.
- Les sentiments peuvent s’additionner même quand ils sont
contradictoires, d’où la confusion du bien et du mal.
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(1) Les stances du Cid,
acte 1, scène 6. Comme on le sait Rodrigue, après avoir occis le papa, reçoit
du roi l’ordre d’épouser sa fille –
Bonne affaire. Mais il y a une condition : respecter avant consommer un délai
d’un an qu’il devra passer à tuer des Maures (=musulmans). Voilà une fin
heureuse…
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