L'homme est fou. Il a tout pour être heureux, les
langoustes, les truffes, la gastronomie, les grands vins, la terre qui est si
belle et les femmes si jolies, mais il s'obstine à vouloir des sous.
Roland
Topor « L'argent qu'est-ce ? » - Contes de fins de nuits, Journal de Topor
Commentaire II
Oui, nous avons tout pour être heureux dès lors que nous
avons langoustes, truffes, vins, terroir et femmes. On finassera peut-être en
ajoutant la santé, l’amour et l’amitié, la paix de l’âme : mais tout cela
est déjà impliqué dans la liste de nos jouissances, qui ne sauraient être sans cette
disposition d’esprit.
o-o-o
Est-ce donc si simple d’être heureux qu’il suffise pour cela
d’acheter et de manger (etc.) ?
N’y a-t-il pas dans le bonheur des composantes qui le
rendent plus subtil – je veux dire qu’il est peut-être capable de s’évanouir
comme une vapeur qui s’échappe d’un flacon de parfum ?
L’ennemi du bonheur c’est la pensée du lendemain, quand la fête sera finie, qu’il faudra faire
la vaisselle et changer les draps – pire : quand il faudra reprendre le
chemin du travail. Voilà qui gâche tout. Que faire ?
Les épicuriens avaient une réponse : si la pensée du
lendemain gâche le plaisir, celle du surlendemain peut tout réparer :
ainsi pendant les banquets ils avaient coutume de faire circuler une tête de
mort, pour faire comprendre que bientôt on serait mort, alors c’est maintenant
qu’il faut jouir de la vie : Nunc
est bibendum.
Ça, tout le monde sait le faire : c’est donc en effet
si simple d’être heureux ?
Quoique… Penser notre mort pour mieux jouir de la vie, ça
peut quand même troubler un peu : s’imaginer en cadavre ça risque
d’empêcher le poulet aux morilles et au vin jaune de passer.
On a donc un effort supplémentaire à faire pour effacer
l’avenir, pour enclore le moment présent dans ses propres limites :
l’amoureux qui s’extasie de la belle qui est à ses côtés, voudrait ne jamais
devoir la quitter ; le voilà qui chante Retiens la nuit. La nuit passera bien hélas, mais en attendant, à
chaque instant il peut faire comme si le moment suivant n’existait pas : absorbé
par le ravissement actuel, où trouverait-il de la conscience disponible pour penser
en plus au matin qui va poindre ? C’est un exercice de l’esprit un peu
comme la méditation dont on nous rebat les oreilles.
… Oui ! C’est ça ! Pour être heureux, apprenons à
méditer afin d’arriver à la surconscience
juste au moment où on boit un cognac extra-vieux – et pareil au moment de l’extase
avec notre demoiselle.
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