Citation du 27 décembre 2016

Le lion est fait de mouton assimilé

Paul Valéry – Tel quel

Digestion II

Que se passe-t-il durant la digestion ? Une transmutation qui fait que des matières vivantes différentes de celles qui nous constituent deviennent notre matière, que le poireau soit du sang dans nos veines, et le mouton la chair du lion.

Certains ne voudront pas admettre une pareille vérité : selon eux, nous sommes toujours un peu ce que nous mangeons, et c’est bien pour cela qu’on dit qu’il faut manger du lion pour devenir fort et redoutable. Mais ne peut-on pas objecter que le lion s’est nourri de moutons ?

Sommes-nous ce que nous mangeons ?

Le lait des femmes paraît être le seul aliment qui soit parfaitement homogène à l’organisme humain (1). On n’oublie pas non plus que l’anthropophagie rituelle consiste à manger les ennemis valeureux vaincus au combat pour s’en attribuer l’énergie.

Réciproquement on doit aussi se rappeler que certaines religions par des tabous alimentaires très strictes affirment qu’il y a des nourritures impures qui peuvent  nous souiller, parce qu’en enfreignant certains interdits  nous risquons de prendre les caractéristiques des animaux que nous mangeons. Manger du porc, c’est devenir soi-même un porc.

Il est de nos jours un mouvement qui institue des interdits alimentaires, ce sont les végétariens convertis en vegane. Toutefois, on notera que le religieux a cédé la place au moral : ne plus infliger aux animaux les terribles souffrances qu’ils endurent dans les élevages et les abattoirs. On remarquera toutefois qu’on ne nous dit plus : « Abstenez-vous de manger de la viande provenant d'animaux impur, sous peine de devenir impur vous-mêmes », mais bien « Vous pouvez trouver toutes les bonnes choses qu’il y a dans la viande en ne mangeant que des fruits et des légumes »

Tout est bon dans la viande à condition de le trouver ailleurs.

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(1) Mais d’une certaine façon c’est parce qu’il a déjà « digéré » la nourriture avant de parvenir à l’enfant « Les mamelles convertissent dedans soy mesmes la nourriture que prennent les femmes, en lait que puis après elles rendent par les bouts. » Jacques Amyot (1513-1593)