L’oubli n’est
pas seulement une vis inertiae, comme
le croient les esprits superficiels ; c’est bien plutôt un pouvoir actif, une
faculté d’enrayement dans le vrai sens du mot, faculté à quoi il faut attribuer
le fait que tout ce qui nous arrive dans la vie, tout ce que nous absorbons se
présente tout aussi peu à notre conscience pendant l’état de digestion (on
pourrait l’appeler une absorption psychique) que le processus multiple qui se
passe dans notre corps pendant que nous assimilons notre nourriture.
Nietzsche – Généalogie de la morale
Oubli. –
Laissons de
côté l’analyse des phénomènes physiologiques qui opèrent durant la
digestion : nous en avons parlé abondamment, et il y a mieux à faire à
partir de cette citation de Nietzsche.
Car,
concernant l’oubli, voilà ce qui importe selon lui : ce n’est pas une
« force d’inertie » (entendez une passivité), mais bien au contraire un pouvoir actif, une faculté d’enrayement,
qui fait disparaître de notre conscience tout ce qui pourrait s’opposer au
déroulement de notre vie.
Selon
Nietzsche, tout pourrait devenir souvenir ; tout ce qui se passe, tout ce
qui nous arrive, tout ce que nous ressentons en nous-mêmes : mais il faut
dire – Hélas ! Car alors cet encombrement de la conscience par
l’inerte et le mort venu du passé empêcherait le vivant et le vivace de sortir
de l’inconscience et de se projeter vers l’avenir. Pour vivre il faut oublier,
c’est une obligation qui se révèle à tout temps : par exemple, le temps
que j’écrive ces lignes je ne pense plus du tout à ce qui vient de se passer autour de
moi et en moi, à ce que je viens de faire – ou alors, si j’y pense, je ne peux plus
écrire comme je le ferais normalement.
Il y a deux
remarques à faire ici :
- l’une c’est que le passé est mort. C’est même à cela
qu’on le reconnaît. "L’homme qui n’en finit jamais avec rien" passe son temps à
reprendre le "déjà avalé" pour le remâcher, comme un ruminant. (1)
- l’autre c’est que le présent coupé du passé est le lieu de la création, de l’invention, de l’innovation… Bref, tout ce qui surgit quand on ne l’attendait pas, tout ce que nous produisons et qui nous étonne, tout cela c’est la vie. (2)
- l’autre c’est que le présent coupé du passé est le lieu de la création, de l’invention, de l’innovation… Bref, tout ce qui surgit quand on ne l’attendait pas, tout ce que nous produisons et qui nous étonne, tout cela c’est la vie. (2)
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(1) Nietzsche parle de ceux « qui n’en finissent jamais avec rien » par comparaison avec les ruminants qui remâchent et digèrent indéfiniment les mêmes choses.
(2) On
retrouve la même idée chez Bergson pour qui l’homme d’action se caractérise
surtout par le fait de filtrer les souvenirs pour ne laisser accéder à la
conscience que ceux qui seront utiles à l’acte.
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