Tuesday, December 27, 2016

Citation du 28 décembre 2016

Ce qui tuera l'ancienne société, ce ne sera ni la philosophie, ni la science. Elle ne périra pas par les grandes et nobles attaques de la pensée, mais tout bonnement par le bas poison, le sublimé corrosif de l'esprit français : la blague.
Edmond et Jules de Goncourt – Journal 30 juin 1868

Sans la liberté de blâmer il n’est point d’éloges flatteurs.
Beaumarchais – Le mariage de Figaro.
La blague. –
Chaque matin sur les grandes radios généralistes – et aussi quelques autres que je ne connais pas – au milieu d’un fleuve d’informations, et sans doute pour réveiller l’auditoire, on nous propose une brève intervention de chroniqueurs humoristes ou d’imitateurs du même calibre qui viennent « vanner » les hommes politiques, souvent de façon répétitive et monotone, mais toujours en les ridiculisant. Peu importe que ces comiques soient talentueux et qu’ils délassent effectivement un esprit déjà fatigué de la journée qui commence, car l’essentiel n’est pas là : il est dans la réduction des gouvernants politiques à la taille de la caricature qui en est faite.
Bien sûr, les démocraties peuvent s’enorgueillir de cette liberté laissée aux citoyens ; bien sûr on citera Beaumarchais en agitant la menace révolutionnaire devant l’interdit dont l’éventualité ne nous viendrait d'ailleurs même pas à l’idée. Et c’est tant mieux. Mais qu’on ne prenne pas à la légère cette condamnation des Goncourt : il se pourrait que la blague soit un peu plus corrosive qu’il n’y paraît.

Relisons notre Citation-du-jour à travers le commentaire qu’en fait Robert Kopp (1) : « [Pour les Goncourt, la blague] c’est l’irrespect généralisé qui se moque de tout ce qui est grand, héroïque, sacré. C’est l’esprit des démocraties modernes qui n’aspirent qu’à la médiocrité. » Et on pourrait écrire à peu près la même chose à propos de Flaubert. Selon eux, cette liberté laissée par les démocraties permet juste de dévoiler la nature même du peuple : le ridicule qu’il affectionne tant est avant tout  le signe de sa médiocrité.

En sommes-nous là ?
Certains politiques se plaignent et disent qu’il y a aujourd’hui quelque chose de corrompu et de mauvais dans les persiflages et les billets humoristiques qu’on entend en permanence et qui visent systématiquement tous les hommes politiques (2). Certes, on l’a dit, le droit à rire de tous est institutionnel et les politiciens ne sont pas à mettre à part. Mais ce qui pèche – et c’est bien ce que disaient les Goncourt – la blague qui diffuse l’irrespect n’a d’autre légitimité que de faire rire, et dès lors on ne se demande même plus si ce qu’on dit est vrai : la distinction vrai/faux n’est plus opérante : seule compte la vanne qui-fait-rire opposée à celle qui-ne-le-fait-pas.

A force de prendre les décisions politiques pour des actes dérisoires dont on peut rire, il est devenu normal d’élire un bouffon, comme l’ont fait les italiens en élisant Beppe Grillo. La boucle est bouclée.

Question : Quel bouffon pourrions-nous prendre comme prochain Président ?
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(1) Robert Kopp, dans la préface de l’édition complète du Journal des Goncourt chez Laffont-Bouquins

(2) Autre fois les « chansonniers » faisaient métier de ridiculiser les gens qui ont du pouvoir. Il n’y a plus de chansonnier aujourd’hui, sans doute parce que tout le monde l’est devenu.

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