Tuesday, January 10, 2017

Citation du 11 janvier 2017

Le verbe être est proprement le seul, et, à la rigueur, nous n'aurions pas besoin d'en avoir d'autres.
Condillac – Cours d'étude pour l'instruction du prince de Parme, Grammaire, II, 6

Le 18ème siècle était une époque où l’on spéculait hardiment sur les origines du langage : on en a gardé la trace avec Rousseau (1), et également avec Condillac.
Ces ouvrages ne se contentent pas de réfléchir sur une vague généalogie du langage ; ils tentent aussi d’en reconstituer l’histoire. Qu’est-ce qui est venu en premier ? Les noms (= substantifs) ou les verbes (= action) ? De quel état préalable le langage est-il une modification : le geste ou le cri ?
Logiquement, Condillac aurait dû admettre que le mot a été premier par rapport au verbe : car pour dire qu’il y a de l’être, encore faut-il avoir déjà indiqué de quoi il s’agit : « Est ! » ne suffit pas ; il faut dire ce qui est : « l’ours est ! ». S’il n’y a que des verbes et pas de noms du tout, alors le geste reste indispensable : il faut montrer à défaut de pouvoir dire ; notre langage en porte d’ailleurs la trace avec les déictiques (2). Faut-il admettre que les noms ont été inventés seulement parce que les hommes de la préhistoire ont constaté qu’avertir du danger en utilisant uniquement le verbe « être » n’empêchait nullement d’avoir la tête arrachée par le coup de patte de l’ours qu’on n’avait pas vu venir ? Ou bien parce que, avant d’agir, il faut savoir sur quoi ou pourquoi agir ?
Je veux bien imaginer que le geste suffise à signaler ce dont l’existence est signalée ; mais si langage il y a eu c’est précisément que le geste était insuffisant. Certains spécialistes contemporains ont imaginé le langage vocalique comme dérivé du call-système, système de communication par cris ou gestes entre chasseurs organisés en bande : pour plus de précision ou pour plus de discrétion, le mot, le verbe, la phrase ont apporté une supériorité aux hommes qui le possédaient – comment imaginer autrement des hommes parvenant à terrasser des mammouths ?
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(1) Rousseau – Essai sur l’origine des langues. A lire ici (les gens fatigués trouveront un résumé ici)
(2) « Les déictiques sont des termes (pronoms personnels ou démonstratifs, adverbes de lieu ou de temps, déterminants ou pronoms possessifs) qui ne prennent leur sens que dans le cadre de la situation d'énonciation.
Ici, , hier, maintenant, ceci, sont des mots déictiques car ils ne sont compris que lorsque la situation d’énonciation est connue. » – Lire ici

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