Le verbe être est proprement le seul, et, à la
rigueur, nous n'aurions pas besoin d'en avoir d'autres.
Condillac – Cours d'étude pour
l'instruction du prince de Parme, Grammaire, II, 6
Le 18ème
siècle était une époque où l’on spéculait hardiment sur les origines du
langage : on en a gardé la trace avec Rousseau (1), et également avec
Condillac.
Ces ouvrages
ne se contentent pas de réfléchir sur une vague généalogie du langage ;
ils tentent aussi d’en reconstituer l’histoire. Qu’est-ce qui est venu en
premier ? Les noms (= substantifs) ou les verbes (= action) ? De quel
état préalable le langage est-il une modification : le geste ou le
cri ?
Logiquement,
Condillac aurait dû admettre que le mot a été premier par rapport au verbe :
car pour dire qu’il y a de l’être, encore faut-il avoir déjà indiqué de quoi il
s’agit : « Est ! » ne suffit pas ; il faut dire ce qui est : « l’ours
est ! ». S’il n’y a que des verbes et pas de noms du tout, alors le
geste reste indispensable : il faut montrer à défaut de pouvoir
dire ; notre langage en porte d’ailleurs la trace avec les déictiques (2). Faut-il admettre que les
noms ont été inventés seulement parce que les hommes de la préhistoire ont
constaté qu’avertir du danger en utilisant uniquement le verbe « être » n’empêchait nullement
d’avoir la tête arrachée par le coup de patte de l’ours qu’on n’avait pas vu
venir ? Ou bien parce que, avant d’agir, il faut savoir sur quoi ou
pourquoi agir ?
Je veux bien
imaginer que le geste suffise à signaler ce dont l’existence est
signalée ; mais si langage il y a eu c’est précisément que le geste était
insuffisant. Certains spécialistes contemporains ont imaginé le langage
vocalique comme dérivé du call-système,
système de communication par cris ou gestes entre chasseurs organisés en
bande : pour plus de précision ou pour plus de discrétion, le mot, le
verbe, la phrase ont apporté une supériorité aux hommes qui le possédaient –
comment imaginer autrement des hommes parvenant à terrasser des
mammouths ?
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(1) Rousseau
– Essai sur l’origine des langues. A lire ici (les gens fatigués trouveront un
résumé ici)
(2) « Les
déictiques sont des termes (pronoms personnels ou démonstratifs, adverbes de
lieu ou de temps, déterminants ou pronoms possessifs) qui ne prennent leur sens
que dans le cadre de la situation d'énonciation.
Ici, là, hier, maintenant, ceci, sont des mots déictiques car ils ne sont compris que lorsque la situation d’énonciation est connue. » – Lire ici
Ici, là, hier, maintenant, ceci, sont des mots déictiques car ils ne sont compris que lorsque la situation d’énonciation est connue. » – Lire ici
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