Ce qui est
passé nous manque et ce qui dure nous lasse.
Daniel Pennac – Le cas Malaussene (page
284)
Jamais content : voilà la vérité ! Jamais satisfait de son sort, jamais heureux : l’homme grommelle tout le temps – mais, s’il est malheureux, c’est bien fait pour lui : il a tout ce qu’il faut mais il ne sait pas se contenter de ce qu’il a.
Voilà une
leçon de sagesse sans doute fort opportune, mais ne va-t-on pas trop vite à la
conclusion ? On devrait d’abord se demander pourquoi ce qui nous manque,
nous lasse dès lors que nous l’avons ? Devrions-nous en conclure que c’est
la durée qui se révèle contradictoire avec le bonheur, et que, si nous nous
lamentons de ne pas être heureux, c’est simplement parce qu’on ne peut l’être
qu’à condition d’être dans le changement ? On va vite faire appel à un
romantisme de la conquête : la belle jeune fille envoute le beau prince
charmant qui vient l’enlever sur son cheval blanc… Mais dès lors qu’il l’a mise
dans son château, il commence à reluquer la femme de chambre. Triste ?
Oui, mais vrai !
Toutefois, là
encore on réduit un peu trop vite la situation à quelque chose de particulier.
Spinoza nous
avait prévenu : la joie c’est dans le changement
que nous l’éprouvons, lorsque nous passons d’un état inférieur à un état
supérieur. Voyez plutôt : « J'entendrai donc par joie … une passion
par laquelle l'âme passe à une
perfection plus grande. » Spinoza – Ethique, Proposition XI, Scholie (1).
Idem avec la tristesse : « La tristesse est le passage de l’homme d’une plus grande à une moindre perfection. » Spinoza – Ethique, 3ème partie.
Inutile donc
d’espérer être heureux de posséder indéfiniment ce qui a fait notre joie, puisque
nous cessons d’en jouir dès lors que nous y sommes accoutumés ?
Pas du tout :
c’est simplement que nous avons identifié la joie et le bonheur. Ou plutôt,
nous avons cru que c’était le bonheur qui devait être permanent alors que c’est
le propre de la béatitude : nous avons manqué une étape, celle de l’édification
de la béatitude. Là encore c’est Spinoza faut consulter : « et certes, si la joie consiste dans le
passage à une perfection plus grande, la
béatitude doit consister pour l'âme dans la possession de la perfection
elle-même. » (Ethique, III, prop. 33, scolie)
Celui qui a atteint cette perfection telle qu’un « plus »
ne serait pas un « mieux », connait la béatitude, état de complète et
permanente satisfaction. Et cet état n’est pas celui d’un surhomme ou d’un
saint, mais celui de tout homme qui se sait partie prenante de la vertu divine,
émanation de celle-ci, y compris dans sa fragilité et dans son impermanence.
« Le propos de Spinoza est de montrer que nous pouvons éprouver une telle
joie lorsque nous savons être attentif à la puissance de vie que nous sommes fondamentalement »
(Lire ici)
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(1) C’est nous qui soulignons, ainsi que dans les autres citations de Spinoza.
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(1) C’est nous qui soulignons, ainsi que dans les autres citations de Spinoza.
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