L’inégalité de fait, par une loi inhérente à la société,
produit toujours l'inégalité des droits : l'inégalité sociale devient
nécessairement inégalité politique.
Mikhaïl
Bakounine - 1814-1876 - Catéchisme révolutionnaire – 1865
Car qu’un géant et un nain marchent sur la même route,
chaque pas qu’ils feront l’un et l’autre donnera un nouvel avantage au géant.
Rousseau
– Discours sur l’origine … de l’inégalité… (Préface – Texte à lire ici)
Voilà le scandale des démocraties : l’inégalité de fait
qui paraît inévitable ruine l’inégalité de droit que la démocratie veut
supprimer. Toutefois, sachant qu’une différence n’est pas ipso facto une
inégalité, reste à dire en quoi elle consiste.
Suivant en cela notre citation de Rousseau, je dirai que les
différences ne sont inégalités que lorsqu’elles entrent en compétition :
prenez un nain et un géant, faites-les marcher sur des routes différentes et
vous verrez bien qu’aucune inégalité n’apparaît entre eux. D’ailleurs, la
sélection naturelle le confirme : il y a sans doute des cas où il est plus
avantageux d’être un nain plutôt qu’un géant.
De surcroît – et là nous quittons l’argumentation de
Rousseau – il arrive que le progrès technique renverse les rapports : la
force physique importe aujourd’hui moins que la puissance de l’intellect. Les
femmes de nos jours sont bien capables de conduire des autobus de 20 mètres de
long, et de gagner la compétition dans les concours des grandes écoles
(NKM polytechnicienne).
Reste qu’il y a quand même de l’inégalité dans les acquis
transmis par chaque génération à la génération suivante : l’héritage familial
fait que les uns naissent avec une cuillère de bois dans la bouche alors que
les autres ont droit à une cuillère d’argent. Mais s’il n’y avait là que des
différences sans effets sur le statut social, on n’y ferait pas trop attention.
Ce qui rend cela scandaleux, c’est que ces inégalités de fait deviennent des
inégalités de droit. Selon un mécanisme très sophistiqué que Pierre Bourdieu a
analysé très précisément, il arrive que les sociétés sélectionnent leurs élites
selon des critères qui différencient les enfants selon leur maitrise du
langage, ou de la culture acquises au sein de leur famille. Le petit bourgeois trouvera
une école taillée pour lui, alors que l’enfant des familles populaires aura un
parcours hérissé d’obstacles.
Les démocraties luttent contre ces inégalités : par des
bourses pour compenser les inégalités économiques ; par des équipements
culturels gratuits pour les différences de milieu familial. Mais quoiqu’on y fasse, ces mesures restent
incapables de combler l’écart : chaque bibliothèque gratuite qui s’ouvre le
creuse, car les enfants qui vont en profiter sont justement ceux pour les quels la lecture est un plaisir et non un pensum.
No comments:
Post a Comment