La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les
faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font
l'objet du débat.
Hannah
Arendt - 1906-1975 - La Crise de la culture - 1961
Hannah
Arendt – Une philosophe se penche sur l’avenir 3
(En cette période où l’incrédulité le
dispute au dégoût devant les puanteurs dégagées par la campagne électorale
française, voici un peu de lucidité, venue d’ouvrages écrits il y a plus de 50
ans par la philosophe Hannah Arendt. Ce
qui était vrai en 1958 l’est resté aujourd’hui et c’est d’autant plus
signifiant que nous étions prévenus)
La quantité d’absurdités, de contre-vérités, de faux
raisonnements que déversent les politiques dans leurs déclaration publique est ahurissante
(1) : voilà que la démocratie sert à présent de refuge à la bêtise.
Toutefois, en critiquant la démocratie, je ne veux surtout pas critiquer le
droit donné au peuple de faire valoir ses droits (2) ; mais je pense
plutôt à la liberté d’opinion qui apparaît comme un droit à affirmer n’importe
quoi, dès lors qu’on présente ça comme une « opinion » ; mais contre
les faits, rien ne sert de réclamer la liberté d’opiner autrement qu’ils ne
sont : ils ne s’y plieront pas. Et
pourtant elle tourne ! disait Galilée obligé d’accepter la doctrine
ecclésiastique du géocentrisme.
On voudrait croire que seuls certains sectaires croient
encore que les hommes sont sortis des mains de Dieu tels que nous les voyons
aujourd’hui, et que Darwin a égaré les hommes sur le chemin de l’erreur
satanique ; soit. Reste que beaucoup d’autres faits sont niés parce
qu’incompatibles avec l’idéologie : ainsi du chiffre et des effets de
l’immigration en France. En fait, les débats sont inutiles car les choses sont
beaucoup plus simples que cela : seuls les faits sont irréfutables et
en dehors de l’appel aux faits, tout ce qu’on peut prouver relève de la logique
ou des mathématiques et se démontre dans le cadre d’une axiomatique bien
précise.
Qu’est-ce donc que la liberté d’opinion ? Au sens
positif, cette liberté renvoie à des convictions dont l’affirmation est une
liberté garantie par les droits de l’homme. Il s’agit de ce qui relève du
domaine des convictions religieuses, philosophiques ou politiques – bref on est
dans le domaine du sens et non dans
celui de la vérité.
Or, dès lors qu’on met en jeu des connaissances, autrement
dit ce qui peut être vrai ou faux, cette liberté n’est qu’une farce comme le
dit Hannah Arendt, parce qu’elle est l’expression du néant. Je peux bien
réclamer le droit de professer que les hommes sont tels que Dieu les a créés,
ainsi d’ailleurs que toutes les espèces animales ; et c’est possible si je
vois là une métaphore qui fait comprendre comment se pense le rapport de
l’homme à Dieu. Mais si je veux dire que l’espèce humaine échappe à l’évolution
du vivant – mieux même : si j’affirme que cette évolution n’est qu’une
opinion parmi d’autres ; et pire encore : si je crois que cette
opinion ne vaut rien car elle n’est pas cautionnée par l’autorité divine :
alors ce droit à l’erreur et à l’illusion est un pseudo droit car il ne
débouche sur aucune réalité : il ne peut que disqualifier celui qui en
fait usage
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(1) Exemple : la quantité d’américains venus applaudir
le nouveau Président américain lors de sa prestation de serment, jugée plus
importante que montrée par les caméras ; le candidat poursuivi pour abus
de bien public et qui s’en remet au verdict des urnes pour trancher de sa culpabilité ; et cet autre qui a
affirmé aux Britanniques que la sortie de l’Europe permettrait de déverser des
centaines de milliards de livres sur la tête des citoyens.
(2) Rousseau a depuis longtemps posé le principe que le
peuple ne se trompe jamais dès lors qu’il dit quels sont ses besoins :
quand quelqu’un interpelle un politique en lui demandant comment il pourrait
vivre avec 800 euros par mois, on peut admettre qu’il connaît mieux le sujet
que l’homme à qui il s’adresse.
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