Le nombre des
écrivains est déjà innombrable et ira toujours croissant, parce que c'est le
seul métier, avec l'art de gouverner, qu'on ose faire sans l'avoir appris.
Alphonse Karr
Alphonse
Karr – 1808-1890. Un siècle entier nous sépare de cet homme, et ça se
sent. Car voilà : de nos jours il y a des coaches pour absolument tout dont
le rôle est justement de nous apprendre à faire tout ce que nous souhaitons. On peut ainsi apprendre à
maigrir, à être heureux, à être un bon politicien – oui, et il y a même
une école pour ça : l’Ecole Nationale d’Administration. Quant l’art d’écrire dont parle notre auteur, on a
inventé des ateliers rien que pour ça : Alphonse Karr serait bien étonné
s’il revenait de nos jours.
Admettons
qu’il ait quand même raison, et que l’art d’écrire comme l’art de gouverner
soit un art, justement parce que c’est une chose qui ne s’apprend pas (1).
Alors qu’est-ce que signifie ce besoin de nous en remettre à autrui pour
apprendre ce qui ne s’apprend pas ? Besoin d’aller très vite, parce que,
si on paye très cher – par exemple un stage de poésie – autant que ça ne dure
pas trop : en plus, ça va vite et plus c’est efficace – du moins, c’est ce
qu’on espère... Apprendre à écrire un scénario en 8 jours, voilà qui nous
parait signe d’efficacité.
Revenons sur
terre – et au propos de Karr : on veut croire que l’écriture à présent, ça
marche comme ça – mais en réalité ça ne marche pas comme ça. On restera aussi
lamentablement incompétent après qu’avant : alors où est la différence
entre celui qui a appris ce qui ne sert à rien et celui qui n’a pas
appris ? La différence est dans la légitimité
dont on se sent revêtu pour avoir accompli un stage tel ceux dont nous parlons
ici.
Oui, si j’ai suivi
une séquence dans un atelier d’écriture, alors je peux me sentir légitimé à
produire un récit et à le faire éditer. D’ailleurs, honnêtement, c’est seulement
cela que nous promettent les coaches en écriture : « Vous pourrez,
grâce à nos conseils, vous faire éditer ! »
Admettons ;
mais pour l’art de gouverner, le « hic » c’est que la légitimité ne
vient que des urnes, et non du sentiment qu’on a d’être l’homme providentiel.
Raison peut-être pour la quelle tout le monde a ses chances (oui, vraiment tout
le monde : nous en avons la preuve grâce au peuple américain…)
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(1) Selon Kant, « ce que l’on peut (faire), dès lors qu’on sait seulement ce qui doit être fait, et que l’on connaît suffisamment l’effet recherché, ne s’appelle pas de l’art » - Critique de la faculté de juger § 43 (lire ici)
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