Wednesday, March 15, 2017

Citation du 16 mars 2017

Le nombre des écrivains est déjà innombrable et ira toujours croissant, parce que c'est le seul métier, avec l'art de gouverner, qu'on ose faire sans l'avoir appris.
Alphonse Karr
Alphonse Karr – 1808-1890. Un siècle entier nous sépare de cet homme, et ça se sent. Car voilà : de nos jours il y a des coaches pour absolument tout dont le rôle est justement de nous apprendre à faire tout ce que  nous souhaitons. On peut ainsi apprendre à maigrir, à être heureux, à être un bon politicien – oui, et il y a même une école pour ça : l’Ecole Nationale d’Administration. Quant  l’art d’écrire dont parle notre auteur, on a inventé des ateliers rien que pour ça : Alphonse Karr serait bien étonné s’il revenait de nos jours.
Admettons qu’il ait quand même raison, et que l’art d’écrire comme l’art de gouverner soit un art, justement parce que c’est une chose qui ne s’apprend pas (1). Alors qu’est-ce que signifie ce besoin de nous en remettre à autrui pour apprendre ce qui ne s’apprend pas ? Besoin d’aller très vite, parce que, si on paye très cher – par exemple un stage de poésie – autant que ça ne dure pas trop : en plus, ça va vite et plus c’est efficace – du moins, c’est ce qu’on espère... Apprendre à écrire un scénario en 8 jours, voilà qui nous parait signe d’efficacité.

Revenons sur terre – et au propos de Karr : on veut croire que l’écriture à présent, ça marche comme ça – mais en réalité ça ne marche pas comme ça. On restera aussi lamentablement incompétent après qu’avant : alors où est la différence entre celui qui a appris ce qui ne sert à rien et celui qui n’a pas appris ? La différence est dans la légitimité dont on se sent revêtu pour avoir accompli un stage tel ceux dont nous parlons ici.
Oui, si j’ai suivi une séquence dans un atelier d’écriture, alors je peux me sentir légitimé à produire un récit et à le faire éditer. D’ailleurs, honnêtement, c’est seulement cela que nous promettent les coaches en écriture : «  Vous pourrez, grâce à nos conseils, vous faire éditer ! »
Admettons ; mais pour l’art de gouverner, le « hic » c’est que la légitimité ne vient que des urnes, et non du sentiment qu’on a d’être l’homme providentiel. Raison peut-être pour la quelle tout le monde a ses chances (oui, vraiment tout le monde : nous en avons la preuve grâce au peuple américain…)

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(1) Selon Kant, « ce que l’on peut (faire), dès lors qu’on sait seulement ce qui doit être fait, et que l’on connaît suffisamment l’effet recherché, ne s’appelle pas de l’art » - Critique de la faculté de juger § 43 (lire ici)

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