Protagoras affirme que l’homme est la mesure de toutes
choses : « Telles les choses me paraissent, telles elles sont pour
moi ; telles elles te paraissent, telles elles sont pour toi. »
Platon
– Cratyle, 385c
On parle de « post-vérité » quand « les faits objectifs »
ont moins d'influence que les appels à l'émotion et aux opinions personnelles
pour modeler l'opinion publique
Dictionnaire
de l’Université d’Oxford (1)
Retour
sur la post-vérité dont nous avons déjà parlé, mais qui excite la philosophie
de façon un peu forte.
Qu’est-ce que la vérité ? Cette question est revenue
sur le devant de la scène récemment, lorsque l’entourage du Président Trump a
dénoncé les critiques dont le nouveau président faisait l’objet pour avoir, selon
les commentateurs, trahi la vérité et menti sciemment.
La vérité est-elle simplement l’adéquation entre un objet et
le jugement que l’on porte sur lui ? Soit. Mais ne faut-il pas intégrer le
facteur émotionnel dans sa réalité ? Un revolver n’a pas le même sens
selon qu’on le voit dans la vitrine ou qu’il soit pointé sur moi. Si je le
définis différemment selon ces deux circonstances, s’agit-il comme le suggère
Protagoras de deux vérités différentes mais également recevables ?
Du coup, la vérité ne serait pas indépendante des émotions
qui ont entouré son apparition et elle serait donc solidaire non de son contenu
mais de son environnement. Telle les choses m’apparaissent, telles elles sont.
Et comme on vient de le dire, les références ne manquent pas, et en premier
lieu celle de Protagoras dont Platon nous a conservé l’aphorisme (citation
ci-dessus). Au fond la vérité doit toujours être en adéquation avec un objet même si ce n’est pas forcément celui dont elle parle. Si Protagoras
ressent le vent comme étant froid, alors que Socrate qui est à coté de lui le
ressent comme étant chaud, on devra dire que cela nous informe sur le rapport
de l’air au sujet qui le ressent. Et donc que la température de l’« air
en-soi » n’existe pas, seule existe celle de l’« air-pour »
Dès lors, si le Président Trump estime que le public amassé
pour son investiture fait 5 millions (?) ça veut dire que son désir est qu’il y
en ait 5 millions.
Hum… C’est un peu facile quand même : les faits sont
têtus comme on le dit souvent et ils ne se laissent pas distordre comme ça. Que
faudrait-il pour faire que ces vérités si dociles au désir des gouvernants soient
pensables ? Demandons aux grecs, eux ils ont exploré ces domaines bien
avant nous.
Il
y a dans la Grèce archaïque des fonctions privilégiées qui ont la
« Vérité » pour attribut comme certaines espèces naturelles ont pour
elles la nageoire ou l’aile. Poètes inspirés, devins, rois de justice sont d’emblée
« maîtres de vérité ». Marcel Détienne – Les maîtres de
vérité dans la Grèce archaïque
Autrement dit, la vérité, c’est ce que prononce le maitre de
vérité, qui était comme on le voit poète, devin, roi qui prononce les
jugements. A supposer que cela soit encore acceptable de nos jours, il faut que
le chef politique soit en même temps un gourou qui a hypnotisé son peuple.
Quelqu’un comme Kim Jong-Un.
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(1) Cette notion de « post-vérité » élus mot
international de l’année par le Dictionnaire de l’Université d’Oxford a été mis
en vedette par l’élection de Donald Trump : « Cette notion est
généralement associée aux affirmations fantaisistes et mensongères de Donald
Trump et à ceux qui ont voté pour lui, issus des classes populaires de la
société américaine. » (Lire ici)
(2) Sur la vérité judiciaire on pourra lire ici l’article de
Jean-Cassien Billier
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