Le comique, c’est du
mécanique plaqué sur du vivant.
Bergson – Le rire
Je commencerai en citant ce
texte fort clair pour résumer la thèse de Bergson sur le rire :
« (Pour Bergson) être vivant, c’est donc,
d’abord, être attentif, aux aguets, sur le qui-vive, apte à repérer ce
surgissement de l’inattendu et de l’inopiné ; c’est, ensuite, être souple et
flexible, c’est-à-dire en mesure de réagir et de répondre à une situation
singulière et originale. En un mot, c’est s’adapter. Et il en va de la vie
sociale comme de la vie en général
Le rire advient quand quelqu’un n’est ni
suffisamment attentif ni assez souple pour bien repérer et réagir au
surgissement de l’imprévu, quand, selon la célèbre formule de Bergson, il y a «
du mécanique plaqué sur du vivant ». Ainsi de l’homme qui glisse sur une peau
de banane, ou du passant qui devient un pantin désarticulé en glissant sur le
trottoir. » (Sophie
Chassat – Sois brillante et pas qu’avec ton gloss ! (Lire ici)
Et puis je me
tournerai vers l’actualité résumée par cette photo qui a fait plusieurs fois le
tour de la blogosphère :
Tour de France : Chute durant
l’étape du 2 juillet 2017
On avouera
sans peine que cette image illustrant une des chutes qui parsèment les étapes
du Tour de France 2017 donne le spectacle de « mécanique plaqué sur du vivant » tel que décrit et
illustré par Bergson lui-même. Et pourtant on dira aussi que ce n’est pas
comique, que l’on se sent même horrifié par ces corps qui s’entassent
pêle-mêle, voire même qui jaillissent comme des fusées, glissant sur la route
pour s’écraser contre un rocher. Une compassion instinctive nous saisit et rien
ne parait alors plus éloigné que le rire moqueur : Bergson se serait-il
trompé ?
On dira d’abord
que si le comique signe la présence de mécanique plaqué etc., la réciproque n’est
pas forcément vraie : il existe des cas ou ce mécanisme n’est pas
spécialement comique. Et pourtant, il n’en est pas moins frappant : les
reportages des étapes, parfois monotones sont vivifiés par ces accidents, comme
si on avait besoin d’eux pour galvaniser l’attention.
Avant-hier (8
juillet) un coureur a été victime d’une autre chute qui aurait pu être
dramatique – mais elle est intervenue durant un écran publicitaire. Désolation
des commentateurs qui n’ont pas pu faire entendre aux téléspectateurs le cris
de surprise et d’effroi qui fut sans doute le leur sur l’instant ;
reprenant l’antenne, des trémolos d’émotion dans la voix, les voici qui nous
passent et repassent – y compris au ralenti – ces images. « Vous avez bien vu ? Regardez
mieux : la roue avant mord le bas côté, le coureur a mal calculé sa
trajectoire (perte de lucidité ?). Voyez comme il rebondit et traverse la
route – sur le dos – et percute un autre coureur qui chute à son tour. Les
secours – minerve – civière – gravité ? – etc. »
On dira que
c’est là le processus banal d’hystérisation des émotions pour capter
l’attention des spectateurs. Sans doute, mais pour ma part j’y vois aussi un
processus naturel de rupture dans les mécanismes habituels de la vie, quand le
mécanique fait rupture dans le vivant.
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