La vision
statique n'existe pas; nul ne peut voir sans explorer.
Arthur Koestler – Le cri d'Archimède
Nul ne peut voir sans explorer. Et si pour connaître il était inutile
de voir ? Si, même, l’exploration devait se faire les yeux fermés, évitant
ainsi les pièges de l’évidence trompeuse des choses ?
On dira
qu’Archimède (dont Koestler évoque le cri) a eu besoin de cette baignoire dans
la quelle son corps s’est mis à flotter – comme Newton du pommier de son jardin
– pour avoir la « vision » de ces équilibres qui doivent se
manifester pour être connus. Mais les physiciens ont assez vite déchanté :
cet « empirisme naïf », comme le nommait Bachelard, a fait des
ravages quant il a fallu comprendre le monde microscopique où la matière se
résout en forces et en énergie. Le moment où les corpuscules ont cessé d’être
des « petits corps » et sont devenus un champ de force, un paquet
d’ondes, pouvant se comporter aussi en
point localisé dans l’espace : à ce moment-là on a cessé d’être éclairé par
l’exploration tâtonnante du monde qui ne fait découvrir que des plaines, des
rochers et des cailloux. « Altesse, disait Leibniz à une princesse ( ?),
si la lumière était faite de corpuscules, vous auriez les yeux
crevés ! »
On objectera
que cette exploration reste indispensable, mais qu’elle nécessite simplement
des appareils qui suppléent nos yeux. Le Collisionneur du CERN fait 27
kilomètres de long mais il ne fait que remplacer nos yeux, devenus inopérants pour percevoir ces corpuscules infimes.
L’idée serait
que Koestler a vu juste, mais qu’il a attribué à la vision humaine des
capacités qu’elle n’a pas toujours : même si ce n’est pas avec les yeux,
l’exploration de la nature reste indispensable à sa découverte.
- Oui, sauf
que…
Sauf que
notre cerveau est devenu lui-même incapable d’effectuer cette exploration
tranquille une fois possédé cette perception artificielle du monde :
déboussolé au sens propre, il chavire devant tant de contre-évidences qu’il lui
faut admettre. Les chercheurs le disent : quand, dans nos calculs nous
arrivons à des résultats que nous ne comprenons plus, alors nous savons que
nous avons fait une découverte. Notre intuition de la réalité, qui nous a servi
malgré tout à nous débrouiller avec Newton (une fois admis il est vrai le
mystère de la force d’attraction), devient inopérante avec Einstein et sa
relativité – quant à Planck et sa théorie des quantas, n’en parlons pas.
Seuls les
mathématiques nous permettent d’explorer le monde, et quant ils nous ont donné
un résultat, alors comme l’enfant qui a un jouet merveilleux qui lui parle
quand il le secoue, il ne nous reste plus qu’à réaliser les machines qu’ils
rendent possible et à contempler le résultat.
La nature a
préservé son mystère : ne nous plaignons pas !
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