Il n’y a pas de faits, seulement des interprétations.
Nietzsche - Fragments fin 1886 - début 1887
Ceux qui s’en tiennent à l’absolue, à la tranquille certitude des évidences ; ceux que la science a abreuvé de vérités doivent lire ce texte de Nietzsche (1). Ceux qui aiment pardessus tout la simplicité des oppositions binaires doivent aussi le lire.
Que nous dit Nietzsche ? Les faits n’existent pas. L’objectivité non plus. Tout est interprétation. La subjectivité n’est qu’une interprétation parmi d’autres. Entendez : non pas qu’il y a une manière subjective et une manière objective d’interpréter le monde, mais bien que croire en la subjectivité c’est une interprétation de notre rapport au monde, une interprétation parmi d’autres.
Et maintenant, voilà l’essentiel : notre interprétation des choses qui constituent le monde (et le monde n’est rien d’autre que la collection de toutes les choses) est l’œuvre de nos besoins ou pulsions. Ou plutôt, ces besoins étant conflictuels, c’est notre pulsion dominante, la plus forte, celle qui aura triomphé des autres, qui va monopoliser l’interprétation. Tout Nietzsche est là.
- Alors, devons-nous croire ce que dit Nietzsche, simplement parce que c’est beau, simplement parce que c’est dérangeant ?
La seule façon de démontrer que Nietzsche se trompe serait de trouver ne serait-ce qu’un seul cas où notre vision des choses - d’une chose - ne satisferait à aucun besoin, aucune pulsion. C’est à ça qu’on reconnaîtra un fait.
La physique et la cosmologie semblent bien avoir fait le ménage : plus de Providence qui fait tourner le soleil autour de la Terre pour l’éclairer partout également. L’univers est non seulement antérieur à l’homme, mais lorsque celui-ci aura disparu - et la science pronostique son départ au grand déplaisir de l’instinct de conservation - l’univers continuera d’exister. Voilà des faits.
Seulement, Nietzsche n’a pas tout à fait tort, car on sent bien l’énorme résistance qu’il faut vaincre pour faire triompher ces vérités. Même les astrophysiciens, dans leur recherche de l’hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer l’apparition et l’évolution de l’univers tiennent compte du scénario qui rend possible, dès l’origine, l’apparition de l’homme. C’est ce qu’ils appellent le « principe anthropique ».
(1) Voici le texte :
« Contre le positivisme, qui en reste au phénomène, « il n’y a que des faits », j’objecterais : non, justement, il n’y a pas de faits, seulement des interprétations. Nous ne pouvons constater aucun factum « en soi » : peut-être est-ce un non-sens de vouloir ce genre de chose. « Tout est subjectif », dites-vous : mais ceci est déjà une interprétation, le « sujet » n’est pas un donné, mais quelque chose d’inventé-en-plus, de placé-par-derrière. – Est-ce finalement nécessaire de poser en plus l’interprète derrière l’interprétation ? Ceci est déjà de l’invention, de l’hypothèse. Dans la mesure exacte où le mot « connaissance » a un sens, le monde est connaissable : mais il est interprétable autrement, il n’a pas un sens par-derrière soi, mais d’innombrables sens « Perspectivisme ». Ce sont nos besoins qui interprètent le monde : nos pulsions et leurs pour et contre. Chaque pulsion est une sorte de recherche de domination, chacune a sa perspective, qu’elle voudrait imposer comme norme à toutes les autres pulsions. »
No comments:
Post a Comment