La bonté, mais c'est une création de l'homme, sa plus grande, sa plus merveilleuse et pour ainsi dire sa plus divine - une création contre nature !
Edmond et Jules de Goncourt - Journal - 9 septembre 1866
L’exemple choisi par les Goncourt (1) dans le monde des oiseaux me rappelle une information glanée récemment : certains oiseaux (des rapaces je crois) pondent 2 œufs, alors qu’ils ne peuvent nourrir durablement qu’un seul petit. Le second - le plus faible - sert de réserve alimentaire au plus fort lorsque la pénurie de nourriture apparaît.
Vous rappelez-vous de la polémique indignée lorsqu’on a commencé à parler du bébé-médicament, cet enfant qu’on procrée parce que génétiquement il sera le seul à pouvoir fournir les greffons nécessaires à soigner les malformations d’un premier né ? La nature ne fait pas tant de chichis : ce qui compte c’est qu’il y en ait un qui survive et peu importe la manière.
La bonté (que nous entrecroiserons avec la morale pour aller vite) est bien contre-nature, ça veut dire que nous préfèrerions voir périr l’espèce plutôt que de nous livrer à des actes jugés barbares. Qu’est-ce qui est « contre-nature » ? N’est-ce pas le fait de refuser de privilégier la diffusion ses gènes en procréant les générations futures ? La nature - à supposer qu’elle veuille quelque chose -veut l’intérêt de l’espèce et non celui de l’individu. La morale n’est pas certes liée à l’intérêt individuel, mais surtout elle est tout à fait étrangère à la considération de l’espèce (2). Lorsque Kant parle de l’humanité, il parle d’une idéal de valeur, pas de l’espèce.
Mais la nature a vite fait de reprendre ses droits. Voyez le cas de ces survivants d’un crash aérien dans les Andes (dans les années 70 - n’était-ce pas une équipe de foot ou de rugby ?). Pour survivre, une seule solution : manger les morts. Oui, mais c’est du cannibalisme : c’est abominable. Les oiseaux n’auraient pas fait tant de manières. Les hommes non plus : pour finir ils se sont dit que le Christ avait demandé à ses disciples de le manger : « Prenez et mangez car ceci est mon corps… », et que le miracle de la communion répétait cette situation.
Bref, un peu de civilisation nous éloigne de la nature ; beaucoup de civilisation nous en rapproche.
(1) Citation complète :
« Une chose, depuis hier, m'a rendu très rêveur. Nous étions au Jardin des Plantes. Il y a un hoko, qui a coursé et pouillé devant nous un oiseau plus petit que lui et cent fois plus faible que lui, une pénélope, je crois. Il l'a à peu près tué, puis est resté, dans une vigilance terrible, à côté de cette bête, qui essayait de le désarmer en faisant la morte.
Alors j'ai songé à tous ces blagueurs, qui disent que la nature est la leçon et la source de toute bonté. Que de passions mauvaises et naturelles de cette bête forte contre cette bête faible ! La bonté, mais c'est une création de l'homme, sa plus grande, sa plus merveilleuse et pour ainsi dire sa plus divine - une création contre nature ! »
(2) D’où l’originalité d’une éthique de la responsabilité, comme la propose Hans Jonas (voir Post du 5 novembre 2006)
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