Le plus beau présent de la vie est la liberté qu'elle vous laisse d'en sortir à votre heure.
André Breton - Introduction à Jacques Rigaut dans "Anthologie de l'humour noir"
Brrr… Vous n’avez rien de mieux à nous proposer, monsieur Breton ? Parce que si le mieux pour nous c’est de pouvoir nous faire sauter le caisson quant on en a envie, alors qu’est-ce que ça doit être le reste : je veux dire tout ce que la vie nous offre par ailleurs.
- Vous ne voudriez pas plutôt contempler un tableau de Rembrandt ? Ecouter une suite pour violoncelle de Bach ? Lire Zarathoustra ? Aller au cinéma pour une rétrospective Godard ? Ou alors voir l’avenir se refléter dans les yeux d’un petit enfant ? Entendre son rire s’égrener en cascade cristalline ? Non ? Je vois : vous êtes du genre à préférer manger une gros gâteau au chocolat ? Non plus ? Ah ! Ça y est. Vous aimeriez plutôt passer un 5 à 7 crapuleux avec une copine ?
- Non, merci, je préfère savoir qu’il y a une fenêtre au 15ème étage d’où je pourrais sauter si le cœur m’en dit.
Alors là, permettez moi de protester : à part pour la rétrospective Godard où en effet la défenestration serait peut-être à conseiller, tous ces cadeaux de la vie valent mille fois mieux que la possibilité du suicide.
Breton a une vision tragique de la vie, ça tient à son époque peut-être. Je sais que Malraux a une scène de la Condition humaine comme ça (1) : un prisonnier va être brûlé vif dans la chaudière d’une locomotive. Il a une capsule de cyanure pour éviter ce supplice : mais elle lui échappe des doigts, et c’est précisément une liberté essentielle qui file avec elle.
On est renvoyé à l’analyse durkheimienne du suicide : celui-ci est l’indice de l’orgueilleux individualisme contemporain, selon le quel l’individu ne se conçoit plus à travers son appartenance au groupe. Autrefois c'était le groupe social qui était en quelque sorte le propriétaire du corps des individus ; l'individu, aujourd’hui son corps lui appartient et il en fait ce que bon lui semble. C’est ce que Durkheim appelle la déliaison (voir ceci). Le suicide, c’est le mépris pour les autres, ceux qui réclament que nous restions en vie pour eux (2).
Dans le Phédon Socrate aussi condamne le suicide individualiste en ces termes « Que dirais-tu su tu étais le berger d’un troupeau et que tu voies tes brebis se tuer ? » (1).
Quoique, vu comme ça, Breton a peut-être raison…
(1) Je cite de mémoire.
(2) Libé a publié hier une page consacrée au philosophe néerlandais Ton Vink, spécialisé dans le conseil aux candidats au suicide. Il insiste sur l’information des proches : prévenez les autres quand vous voulez vous suicider.
4 comments:
Votre post m'a pas mal fait pensé au filme "Fight Club" (David Fincher 1999) (film basé sur le livre de Chuck Palahniuk.) dont voici quelques citations trouvée sur wikiquote:
It's only after we've lost everything that we're free to do anything.
Trad:C'est seulement après avoir tout perdu que l'on est libre de faire tout ce qu'on veut.
You are not a beautiful and unique snowflake. You are the same decaying organic matter as everyone else, and we are all part of the same compost pile.
Trad: Vous n'êtes pas un beau et unique flocon de neige. Vous êtes la même matière organique se délabrante que n'importe quoi d'autre, et nous faisons tous partie de la même pile de compost.
Merci de vos citations. Je ne connais pas l’ouvrage que vous citez, mais je crois que l’intérêt de citations telle que celle de Breton, c’est justement d’éveiller des associations avec d’autres pensées, d’autres références - d’autres citations.
Car je crois que les citations sont comme des petits textes dont le sens se renouvelle à chaque fois qu’on les fait entrer dans de nouvelles associations (c’est la logique de l’hypertexte - je ferai un Post là dessus un de ces jours).
Je ne pourrai que vous recommender le visionnage de ce film qui en possède plusieurs "degrés".
En effet, Kevin prendrai plaisir à regarder ce film plein d'action, saupoudré de violence et d'un peu de sex. Mais la psychologie des personnage y est aussi très intéressant (à mon humble avis).
Bref, un très bon filme de David Fincher.
Kevin prendrai plaisir à regarder ce film plein d'action, saupoudré de violence et d'un peu de sex
Oh làlà, non! J'ai déjà assez de mal à le tenir comme ça. S'il y du sexe il va encore me rater son D.S. de samedi prochain.
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