Montaigne doutant des dogmes de la sottise ancienne, voilà un grand mérite ; il a entrevu quelques petites choses ; enfin, son charmant style sans lequel personne ne parlerait de lui. »
Stendhal - Journal - septembre 1834
voilà un grand mérite : ironie stendhalienne (1).
son charmant style : méchanceté stendhalienne ; une femme légère a de la valeur parce qu’elle charme. Un style est mièvre et superflu s’il n’est que charmant.
Je n’ai ni l’intention, ni la prétention de prendre la défense de Montaigne. Je voudrais comprendre non pas pourquoi il est dédaigné par bon nombre d’auteurs (= Stendhal n’est pas le seul), mais pourquoi - à supposer qu’ils aient raison - pourquoi on lit malgré tout encore Montaigne ? Est-on comme le prétend Stendhal encore sous le charme de son style ? J’en doute : lisez un peu Montaigne et dites-moi si ses phrases avec leur structure grammaticale latine, si son vocabulaire du XVIème siècle, vous enchantent à ce point (2).
Alors, c’est vrai que Montaigne n’a pas une philosophie bien originale, et d’ailleurs ce serait contradictoire avec sa volonté de rendre sa pensée indépendante de l’autorité d’un savoir. Mais il est vrai aussi que ce n’est pas cela qu’on y cherche.
Ce qu’on y trouve, c’est la vie d’un homme, qui s’expose dans ses joies et ses tourments, et qui nous dit comment il retrouve la pensée de certains grands auteurs dans les évènements de sa vie. Pour Montaigne, l’important n’est pas ce qu’on sait, mais ce qu’on fait avec ce qu’on sait.
Bon. Ça on le sait même si on n’a lu que des notices d’encyclopédie sur Montaigne. La question c’est : pourquoi lit-on les Essais, qui pouvaient intéresser peut-être quelques uns des proches de Montaigne, mais pas le public, chacun devant être concerné par sa propre démarche et non par celle des autres. Ce qui m’intéresse n’est-ce pas, c’est : qu’est-ce que je fais, moi, avec Sénèque - et non pas : qu’est-ce qu’il fait lui, Montaigne, avec Sénèque.
Sans doute. Mais qui donc le fait ? Et si on sent qu’on devrait au moins le faire, n’est-ce pas grâce à quelqu’un comme Montaigne ?
Deleuze disait que la vie d’un philosophe, c’est la projection d’un système philosophique sur le plan de sa vie, un peu comme on dit que l’ellipse, c’est la projection d’un cercle sur un plan. Si la philosophie n’est pas seulement un système un peu stérile de concepts, utile comme le jeu d’échec pour faire valoir l’aptitude d’un cerveau au calcul abstrait, c’est qu’elle se déploie dans une pensée vivante, qui donne du sens à sa vie grâce à ça.
Pour ceux qui sont déjà sur ce chemin, Montaigne est un compagne de route. Pour ceux qui n’y sont pas encore, Montaigne est un sherpa.
(1) Ironie : Figure de rhétorique par laquelle on dit le contraire de ce qu'on veut faire comprendre.
(2) Je veux dire qu’avant de tomber sous le charme de son style il vous faudra apprendre cette langue étrangère et que pour le faire il vous faudra une autre motivation que celle du charme.
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