Ainsi qu’un corps qui aurait des yeux en toutes ses parties serait monstrueux, de même un Etat le serait, si tous ses sujets étaient savants. On y verrait aussi peu d’obéissance que l’orgueil et la présomption y seraient ordinaires.
Cardinal de Richelieu, cité par E. et J. de Goncourt - Journal , 4 juillet 1857
Voici une citation qui devrait nous aider à mesurer le chemin parcouru depuis les Goncourt.
C’est en effet une banalité de constater combien l’éducation du peuple a été crainte par les pouvoirs de toute nature. Depuis Platon, qui dans sa Lettre VII conditionne déjà la divulgation du savoir à des mérites et des capacités supposés absents dans le peuple, jusqu’aux Goncourt - qui applaudissent à tout rompre aux propos de Richelieu - on considère que la science apporte un pouvoir dont le peuple ne saurait pas se servir à bon escient. Pire : il se croirait apte à juger le pouvoir, le mettant ainsi en péril.
Bien entendu, de leur côté, les révolutionnaires, les vrais, comme Condorcet, ont soutenu que la révolution démocratique exigeait l’éducation populaire.
Mais pour qui jette un coup d’œil sur notre système éducatif, la révolution accomplie n’a plus grand chose à voir avec les enjeux du débat actuel.
Certes, jusqu’à nous, l’éducation était un enjeu politique : donner une instruction à tous, c’était émanciper le peuple . Mais aujourd’hui, qui donc demande ça à l’Education Nationale ? Qui donc pose la question : qu’est-ce que cette discipline qu’on me propose d’apprendre, va m’apporter en terme de liberté et d’autorité par rapport au pouvoir ? Hélas ! Chacun le sait : ce qu’on demande c’est « Combien ça coûte ? » et « Qu’est-ce que ça va me rapporter ? ».
S’il fallait prouver cela, je me contenterais de rappeler que l’école est jugée sur ses aptitudes à apprendre un métier aux jeunes, que ceux-ci, quand ils consentent à travailler, le font pour avoir un « bon métier ». Que les Lycées professionnels sont à la pointe de la pédagogie, eux qui ont inventé la « pédagogie par objectif », qui aligne les items du programme sur des objectifs professionnels, système qu’on propose d’imiter à toutes les autres discipline
Si Richelieu revenait aujourd’hui, il ne ferait pas fermer les écoles. Inutile. D’ailleurs, lui-même en sortirait de l’école. L’Ecole Nationale d’Administration.
4 comments:
Bonjour,
Ce qui m'étonne dans votre post -comme dans les discours que l'on peut entendre à ce sujet- c'est que globalement -tout du moins en France- il semble impossible de concilier les deux objectifs:
_instruire le peuple, pour ainsi l'émanciper
_donner une éducation avec un objectif professionnel
Je ne crois pas que ces objectifs soient si distants l'un de l'autre.
Est-il vraiment impossible d'apprendre à quelqu'un les bases d'un métier (la vente, la manutention etc...) sans pour autant lui apprendre les bases de la philosophie, de la littérature, des mathématiques etc comme on le fait dans les filiaires dites génréralistes?
Personnellement, je ne crois pas.
Toutefois, et c'est bien là le problème, c'est qu'il faut faire comprendre aux élèves (aux parents?) l'intérêt de la chose. Et là, c'est peut-être le plus délicat.
Je ne crois pas que ces objectifs soient si distants l'un de l'autre.
Est-il vraiment impossible d'apprendre à quelqu'un les bases d'un métier (la vente, la manutention etc...) sans pour autant lui apprendre les bases de la philosophie, de la littérature, des mathématiques etc comme on le fait dans les filiaires dites génréralistes?
- Il y a dans votre remarque la mise en cause d’un préjugé aristocratique, qui voulait que tout ce qui touche à un métier soit indigne de la liberté d’un homme. C’est ainsi qu’on parlait des arts libéraux par opposition aux arts mécaniques.
Depuis le 19ème siècle, les adeptes de la « pensée ouvrière » se sont appliqués à montrer que l’intelligence est « une » et qu’apprendre un métier c’est aussi apprendre à raisonner, et que c’est aussi émancipateur que de lire Condorcet (voir aussi mon Post du 20 mars 2007 sur Jaquotot).
- Autant dire que votre observation est pertinente … mais je n’y crois pas vraiment. Déjà, je suis persuadé que les élites de la classe ouvrière ont déserté les ateliers depuis longtemps, et que les enfants d’ouvriers ne se précipitent guère dans les ateliers pour reprendre les outils de leurs parents : ils filent vers les prépas prestigieuses dès qu’ils le peuvent.
Et en plus, le préjugé dominant aujourd’hui - et c’est un peu ça que je visais - c’est que des études, il faut que ça paye, et la capacité à raisonner, ça paye pas - prise de tête !
Le préjugé dominant aujourd’hui [...] c’est que des études, il faut que ça paye, et la capacité à raisonner, ça paye pas [...]!
Et c'est justement ça que je voulais dire, même si comme d'habitude je n'arrive pas à synthétiser clairement ma pensée.
Je pense que bien au contraire ça paye! Avoir un employé qui fait "bêtement" ce qu'on lui a dit c'est pas très "rentable" dans la mesure où il faut tout lui dire. Dans ce cas là, autant prendre un robot, il ne manifestera pas, et ne râlera pas en faisant les 3 8.
On se rends compte -et ce à n'importe quel niveau que ce soit- que des retours de "la base" sont très important pour l'amélioration du travail, et de la productivité.
Renault a, par exemple, fin des année 70, début 80 orienté sa production vers des robots de partout. Ils en sont revenu, et on remis des ouvriers, car comme ça ils ont "un regard critique" sur le travail et peuvent améliorer la chaine de production.
Seulement je pense que pour avoir ce regard critique, il faut avoir un esprit critique.
Donc, cette vision "d'apprendre un métier et c'est tout", est une vision à court terme, et pas une vision à long terme avec une perspective d'évolution.
les enfants d’ouvriers ne se précipitent guère dans les ateliers pour reprendre les outils de leurs parents : ils filent vers les prépas prestigieuses dès qu’ils le peuvent.
Je vais me faire l'avocat du diable, mais la faute à qui? En ce qui me concerne, quand j'ai dit à ma conseillère d'orientation qu'en seconde je voulait faire option "TSA productique" elle m'a regardé avec des yeux ronds; et je ne vous parle pas quand en seconde j'ai choisi d'aller en première STI (mon dieu un bac technologique...) voie d'étude considérer par beaucoup (sinon tous (profs, élèves, parents...)) comme une voie pour "les élèves dont on ne sait pas quoi faire".
Et je ne vous parle même pas du programme où en math on apprend à peine plus que l'addition, et en français à peine 1 étude de texte par mois. De tout façon ces matières n'ont quasiment pas d'intérêt à être travaillé même un temps soit peu, car les coefficient du Bac, ne vous incite pas vraiment.
Alors certes, les enfants ne vont pas récupérer les outils de leurs parents. Mais qui les y a aidé?
NB: Pour ceux qui croient encore que le salaire est meilleurs après avoir fait plein d'études, je ne dirai que 2 choses:
_mon frère est plombier, il n'a -pour ainsi dire- jamais fait d'étude supérieur et il gagne mieux sa vie que moi qui aie un Bac+5
_une cousine a un BAC+7: elle passe de petits boulots, en petits boulots
- Et je ne vous parle même pas du programme où en math on apprend à peine plus que l'addition, et en français à peine 1 étude de texte par mois. De tout façon ces matières n'ont quasiment pas d'intérêt à être travaillé même un temps soit peu, car les coefficient du Bac, ne vous incite pas vraiment.
-- Mon expérience me confirme hélas que vous avez raison
_mon frère est plombier, il n'a -pour ainsi dire- jamais fait d'étude supérieur et il gagne mieux sa vie que moi qui aie un Bac+5
_une cousine a un BAC+7: elle passe de petits boulots, en petits boulots
-- Effectivement : il y a là une preuve flagrante qu’on est dans le domaine du préjugé.
Peut-être que ce préjugé à la peau dure parce qu’on ne se résout pas à admettre que le salaire soit la mesure de l’intérêt - ou de la valeur - d’un travail. Je crois que Bourdieu a dit des choses là-dessus.
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