Ce temps qui te paraît si long maintenant, dans quelques mois te semblera avoir passé vite ; tu ne te rappelleras plus alors que de l’uniformité de ton inquiétude, sans toutes les intermittences qui peuvent maintenant en mesurer l’étendue.
Flaubert - Correspondance (à sa mère) 14 décembre 1849
(C’est durant le voyage d’Orient qui va de 1849 à 1850)
Que faire pour vivre longtemps ?
Le 10 février 2006, étudiant un citation de Baudelaire, nous disions que pour accroître la durée, il suffit de la diluer, et que la dilution de la durée était liée à l’ennui, et nous supposions même qu’elle en était l’effet. Plus je m’ennuie, et plus le temps me paraît long. Je concluais : Pour vivre longtemps : ennuyez-vous souvent.
Peut-être, mais pas seulement.
Que dit Flaubert ? Une durée scandée par de nombreux évènements paraît plus longue que la même durée vécue dans l’uniformité d’une action unique. La durée vécue est donc fonction de la multiplicité des actions. Dans la routine, lorsque les mêmes actes se répètent indéfiniment, chacun paraît se superposer à tous les autres, ne formant plus qu’un, la durée se contracte. Exemple : voyagez deux jours ; et puis comparez avec un autre voyage, avec un séjour statique d’une semaine. Vous verrez que le second ne vous paraîtra pas tellement plus long que le premier.
Bref ; la durée vécue est bel et bien fonction non seulement de notre action, mais aussi de la façon dont nous intégrons cette action à notre vie. Ce qui signifie que ce n’est pas seulement une expérience de la longueur du temps.
Ce que dit encore Flaubert, c’est que la durée vécue - au présent donc - et la durée remémorée, ce n’est pas la même chose. Ce qui suppose que dans notre existence il y a au moins deux dimensions : l’existence présente et l’existence passée.
Or, voilà Bergson - encore lui : comment parler de la durée sans faire appel à Bergson ? - qui n’est pas d’accord. Il dit que notre vie n’a ni passé ni futur, mais seulement un présent. C’est que toutes nos actions font partie d’une seule et même action qui n’est autre que la construction de notre vie. En sorte que lorsque nous croyons avoir tourné la page, c’est une erreur, parce que le sens de ce qui s’est passé ne peut se décrypter que rapporté à l’ensemble de notre vie - ou du moins à une période longue. Supposez que vous veniez de faire la douloureuse expérience d’un échec. Qu’est-ce qui dira que c’est un malheur ou une chance ? Bien entendu, tout dépendra de ce que vous ferez avec ça.
Si les évènements qui scandent notre vie peuvent paraître se confondre dans le passé, c’est qu’ils ne constituent qu’un seul et même devenir.
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