Tant que les hommes pourront mourir, et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé et bien payé.
La Bruyère – Les Caractères
La santé n’est qu’un mot qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire.
Jules Romain – Knock ou le triomphe de la médecine.
Tous les hommes peuvent mourir et ils aiment vivre nous dit La Bruyère. Que voulez-vous ajouter à ça ?
Peut-être ceci, évoqué également dans notre citation, que notre rapport à la médecine se comprend d’abord à partir de là.
Déjà, elle explique ce paradoxe : au XVIIème siècle, l’époque où les médecins étaient fort incapables de guérir leurs patients – et cela se savait – on recourrait quand même à leurs soins comme si de rien n’était. Ultime et dérisoire espoir… Le médecin est alors en concurrence avec le prêtre, parce qu’il opère sur le même terrain : tout comme les prêtres de l’époque de La Bruyère s’évertuent à rappeler à leurs ouailles qu’ils peuvent mourir à tout instant et que donc il est urgent qu’ils assurent leur salut et qu’ils se prosternent à leurs pieds, le médecin assure qu’il sait ce qu’il faut faire pour éviter de mourir.
- Loin de ces préoccupations métaphysiques, le docteur Knock apparaît comme un médecin molièresque mais aussi un peu escroc. C’est un charlatan génial, qui suscite le besoin pour ensuite le satisfaire. Mais au avant de susciter la peur de la mort, sa charlatanerie consiste à ruiner la tranquille certitude de posséder la santé.
La santé n’est pas pour lui un état, c’est un rapport mouvant entre des forces antagonistes et toutes mortifères. Devant ses patients incrédules il développe une conception « scientifique » de la santé, fragile équilibre entre des pathologies différentes.
Aujourd’hui, sommes nous si loin de tout ça ? Le docteur Knock ferait il encore fortune s’il ouvrait maintenant son cabinet ?
Ce qui a changé aujourd’hui par rapport à la pièce de Jules Romain, c’est qu’il supposait ses villageois comme de gaillards insouciants à qui il fallait d’abord rappeler leur fragile condition, alors que ce n’est plus notre cas. Nous sommes en effet déjà persuadés que de terribles dangers nous menacent, dès que nous mangeons, dès que nous buvons, dès que nous respirons : la pollution, les pesticides, les bactéries résistantes aux antibiotiques, les radicaux libres, le bafouillage de la réplication d’ADN, … tout ça nous pousse vers la tombe.
En plus de ça, alors que le docteur Knock n’a plus les prêtres comme rivaux, et qu’il n’en a même pas même pas chez ses confrères, la médecine est aujourd’hui concurrencée sur le terrain de la santé par toutes sortes d’autres agents : des nutritionnistes pour éviter le cancer et pour garder la forme ; des psycho-zen pour guérir du stress générateur de crise cardiaque ; des spécialistes du fengshui pour canaliser les énergies qui circulent dans la maison.
Si avec tout ça vous mourez quand même, avouez que vous l’aurez fait exprès.
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