L'erreur préférable à l'inquiétude.
Lorsqu'on ne sait pas la vérité d'une chose, il est bon qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes, comme, par exemple, la lune, à qui on attribue le changement des saisons, le progrès des maladies, etc. ; car la maladie principale de l'homme est la curiosité inquiète des choses qu'il ne peut savoir ; et il ne lui est pas si mauvais d'être dans l'erreur, que dans cette curiosité inutile.
Pascal – Pensées (Fragment Le Guern 628)
L'erreur préférable à l'inquiétude… Deux observations donnent raison à Pascal :
- La première, c’est l’incroyable crédulité des « gens » (= tous sauf nous, bien sûr !) a admettre une affirmation tout à fait invérifiée sous réserve qu’elle soit affirmée avec conviction et surtout qu’elle donne réponse à une interrogation qu’ils se posent. (1)
- La seconde, c’est l’attachement que nous avons pour nos opinions dès lors qu’elles nous mettent à l’abri du doute. Le doute, ressenti comme une maladie de l’âme – ou au moins une de ses faiblesses. Pour un néophyte, lire Descartes, présente une difficulté majeure : admettre qu’on puisse douter par volonté de savoir. C’est peut-être encore plus difficile à comprendre que le cogito.
Voyez l’exemple donné par Pascal : le rôle de la lune dans les épisodes climatiques, voire même dans l’évolution des maladies (pensons aux lunatiques). Même moi, qui ne fréquente pas spécialement les jardiniers, j’ai renoncé à ricaner quand ils affirment cultiver avec la lune : a quoi bon se faire des ennemis pour si peu…
Mais lisons d’un peu plus près le texte de Pascal. Il contient une remarque qui doit nous faire dresser l’oreille (ou les neurones ? Oui, si vous voulez) : il ne lui est pas si mauvais d'être dans l'erreur, que dans cette curiosité inutile. Ce qui compte, voyez-vous, ce n’est pas ce que nous faisons objectivement avec notre savoir (comme d’amender le sol du jardin si nous connaissons sa composition, ou lancer une fusée grâce à des calculs balistiques), mais bien ce que ce savoir produit en nous.
La connaissance pour Pascal – du moins dans ce fragment – doit être évaluée en termes psychologiques. Et c’est avec ce critère qu’elle est mise en compétition avec la croyance.
Ou avec la foi.
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(1) C’est ce que dira Lévi-strauss dans un texte justement célèbre, cité et commenté ici.
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