Notre durée est irréversible. Nous ne saurions en revivre une parcelle, car il faudrait commencer par effacer le souvenir de tout ce qui a suivi.
Bergson
La maladie d’Alzheimer dont on parle beaucoup en ce moment apparaît comme une tragédie pour l’être humain qui y perd peu à peu son humanité, au point qu’on se demande s’il reste pour finir quelque chose de l’âme immortelle que Dieu a déposée en nous…
Mais c’est aussi l’occasion de réfléchir – tant qu’on le peut encore – sur l’apport de la mémoire.
La femme – l’homme – qui a perdu la mémoire, à supposer que sa faculté de réflexion ne soit pas altérée – et à supposer qu’on puisse réfléchir sans se souvenir – devrait y voir une chance plutôt qu’un péril.
--> N’avons-nous pas le désir de revivre notre passé, de rajeunir et de revivre notre jeunesse ? Or, voilà ce que nous dit Bergson : pour renverser notre durée et retrouver notre jeunesse, il suffit d’effacer le souvenir de tout ce qui l’a suivie. Donc une bonne amnésie et le tour est joué ! Le malade Alzheimer qui dit « Bonjour madame » quand se femme entre dans sa chambre n’est-il pas enviable ? En dehors du miracle de l’amour, chanté par Jean Ferrat (1), comment faire pour que ce soit toujours la première fois ?
Maintenant, supposons que nous ayons le choix entre perdre totalement la mémoire et la conserver intacte : quel parti prendre ?
Désirons-nous revivre notre vie comme si c’était la première fois – avec toute la fraîcheur de l’émotion première, avec l’intensité de la découverte ?
Ou bien mettons-nous au premier plan tout ce que nous avons appris et tout ce que nous sommes devenus à partir de là ?
On dira peut-être que cette question est oiseuse puisqu’on ne peut nous désolidariser de notre passé. Certes – mais la façon dont nous répondrons à cette question sera révélatrice de l’intérêt que nous portons à notre vie.
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(1) Voir ici
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