Dans la plaine les baladins / S'éloignent au long des jardins / Devant l'huis des auberges grises / Par les villages sans églises […]
Chaque arbre fruitier se résigne / Quand de très loin ils lui font signe
Apollinaire – Saltimbanques (recueil Alcools) (1)
Sur le chemin du bord du fleuve lentement / Un ours un singe un chien menés par des tziganes / Suivaient une roulotte traînée par un âne / Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes / Sur un fifre lointain un air de régiment
Apollinaire – Mai (recueil Alcools)
Gens du voyage… Tsiganes… Gitans… Roms… Ils ont tous nourris un imaginaire farci de poules, de diseuses de bonne aventure, d’acrobates, d’errance et de misère.
On n’en finirait plus d’énumérer leurs méfaits tant la tradition et les siècles les en ont chargés. Rappelons simplement que l’accusation de voler les poules n’est rien comparée aux autres crimes dont on les a accusés, comme de voler les enfants.
Les expulsions des camps de Roms menées par le gouvernement français font appel à la même tradition : ce sont eux qui sont chargés d’incarner le sentiment d’insécurité qui pourrit la vie des gens, au point que Notre-Président a reproché aux journalistes qui l’accablent de leurs critiques d’avoir oublié les incidents de Saint-Aignan (2) provoqués par les gens du voyage. Bien entendu, Notre-Président lui-même a oublié que ces Gens-du-voyage là n’étaient pas des Roms…
Mais ne fait-on pas là encore usage du prodigieux potentiel d’imaginaire qui émane des Roms ? Les poèmes d’Apollinaire – et de bien d’autres – nous le montrent : leur image aux contours flous, décolorée par la distance, sert de support au mieux à nos créations poétiques, ou au pire, aux projections de nos angoisses obsessionnelles.
Création poétique, oui… Mais nous ne sommes pas tous des Guillaume Apollinaire, rêvant derrière les roulottes, dans la poussière de la route : reste à nous imaginer courant après les voleurs de voitures, les casseurs de villages, les assassins de vieilles femmes…
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(1) Ceux qui préfèrent la version musicale (Musique de Louis Bessières) chantée par Yves Montand n’ont qu’à cliquer ici.
(2) Pour ceux que les vacances avaient éloignés de leurs écrans, voir ici
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