Jacques Attali – Europe(s)
D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez Calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'œil ...
Beaumarchais Le Barbier de Séville – Acte II, scène 8
Rossini, Il barbiere di Siviglia (Grand air de la calomnie à écouter ici)
La rumeur… Oui, c’est bien elle qui secoue les Bourses de monde entier – rumeur de faillite de la Société Générale, de dégradation de note souveraine française etc…
Et on se dit : Comment ? Voilà des gens à qui on fait confiance pour manipuler des fortunes astronomiques, - et ce sont eux qui vont cramer des milliards de dollars sur des rumeurs invérifiées ? Des agents de change, des experts en bourses hyper compétents – les voilà qui lâchent leur nerf pour un rien ? Comment est-ce possible ?
Alors Beaumarchais nous décrit le processus : la calomnie, catégorie de la rumeur, se développe sans contrôle par ce qu’elle ne vient de nulle part – et de partout à la fois. Et le talent de Rossini s’ajoute à celui de Beaumarchais pour décrire cet extraordinaire écart entre la petite, toute petite rumeur et le cyclone qu’elle déclenche (1).
Reste à savoir comment ça marche ? Attali nous répond : le moyen de propagation de la rumeur est analogue à celui du sida (2). Le mal qui progresse le plus inexorablement est effet celui qui détruit d’abord nos moyens de défense ; outre le sida, et plus courant, voyez le cas de l’ivresse : ce qu’on perd en premier quand on boit de l’alcool, c’est le désir d’arrêter.
On supposera donc que la gestion des cours de la Bourse altère le jugement des agents de change.
Bien : une fois qu’on a décrit le processus, on n’est pas plus rassuré concernant la Bourse. D’autant qu’on m’explique que les financiers ont fabriqué des myriades de petits robots informatiques, qui gèrent les comptes exactement comme ils le feraient eux-mêmes. L’apprenti sorcier n’est pas loin !
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(1) Si vous ne l’avez encore fait, visionnez la vidéo : la mise en scène souligne cet effet.
(2) Rien à voir avec le « sida mental » de Louis Pauwels, dont on peut retrouver le texte sur des blogs fortement ancrés à droite (comme ici)
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