La musique sert peut-être en ce qu'elle fait estimer le silence à son prix.
Edmond et Jules de Goncourt – Journal (19 août 1862)
Il y a deux façons d’interpréter cette phrase :
- L’une qui est malveillante : la musique, c’est du bruit qui fait apprécier le silence quand elle s’arrête. Certes le texte du Journal est si laconique qu’on ne peut en juger, mais sachant combien les Goncourt méprisaient la musique, c’est probablement la bonne interprétation.
Pour autant que je me rappelle, les Goncourt reprochaient à la musique de stimuler les sentiments – souvent les plus vils – ou du moins de n’être que cela : un excitant. Aucune spiritualité dans la musique, rien que du pathos. Au fond, c’est ce qu’on trouve déjà chez Platon qui pensait qu’elle ne pouvait servir qu’à manipuler le peuple pour le faire marcher au combat.
- L’autre interprétation est « musicale » : la spiritualité de la musique s’épanouit spécialement pendant les silences ; la musique fait du silence un élément vital de son déroulement. Par elle, ce qui ne serait qu’un vide, devient plein de sens. Je me rappelle un récital de Christian Zacharias : c’est en décembre, les gens sont enrhumés, ils toussent et se mouchent. Après une première sonate, Zacharias se tourne vers le public : « Pourriez-vous interpréter les silences ? ».
De toute façon, il y a un silence que le public se doit de respecter : c’est celui qui succède à la dernière note de l’œuvre interprétée. C’est le moment, douloureux entre tous où il faut faire en sens inverse le chemin qu’on vient de parcourir en musique. Ecoutez le public applaudir : s’il se déchaine alors que résonne encore le dernier accord, vous pouvez être sûr qu’il ne revient pas de très loin.
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