Elles [les aubépines] m'offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable,
mais sans me laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu'on rejoue
cent fois de suite sans descendre plus avant dans leur secret.
Proust – Du côté de chez Swann
La musique révèle le sens du sens, qui est charme, en le soustrayant. Telle est
cette divine éternité d'un quart d'heure qui s'appelle la Ballade en Fa
dièse de Gabriel Fauré; (...) : de cette œuvre de charme et d'inexistence, de ce sortilège bergamasque (...),
de ce presque-rien surnaturel, en « balbutiant », ...
Jankélévitch – Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien
Charme – Définition II
Ici le romancier et le philosophe sont d’accord : le
charme n’est pas le secret ; simplement il protège – ou recouvre – un
secret.
Mais, s’ils sont d’accord, c’est parce qu’ils pensent à
la même chose : c’est de la musique qu’émane le charme.
Entre l’aubépine et la mélodie (peut-être la sonate de
Vinteuil) le narrateur suggère que le charme, qu’il soit celui d’un parfum ou
de la musique, nous retient sur le bord du secret, à moins que ce ne soit ce
même charme qui en dessine les contours. Je ne sais – d’ailleurs il ne
faut pas en savoir plus : la musique agit sur notre sensibilité par accès
direct, sans passer par « l’interface » de l’intelligence et du
langage. C’est pour cela que certains se méfient de la musique : c’est une
traitresse parce qu’elle nous foudroie d’émotion avant même qu’on ait pu y
consentir, un peu comme ces airs d’accordéons, canailles et populos qui nous
mettent en larmes alors même qu’on hausse les épaules devant leur vulgarité.
Mais c’est à notre philosophe musicien qu’il revient de
dire complètement les choses : si le charme est le sens de la musique, c’est
parce qu’il se manifeste en évinçant le sens « verbalisable ». Dites
un peu ce qui vous vient à l’esprit en écoutant la ballade en fa dièse majeur de Fauré (1) : en même temps que
vous le faites, vous avez la certitude qu’il y a, derrière ça, une foultitude
d’autres histoires à raconter, dont certaines surgiront la prochaine fois – et les
autres plus tard … ou jamais !.
Le charme de la musique, c’est ce qui reste quand on a
donné congé au sens – ou du moins à tous les autres sens.
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(1) A écouter ici : ça dure 10’50, mais à coup sûr, après
l’avoir écouté vous saurez que vous n’aviez rien de plus important à faire
(même si la prise de son est mauvaise). Au fait, Janké dit que ça dure un quart
d’heure, alors que Yuja Wang boucle l’affaire en 10’50. Il y a un mystère en
plus du secret…
P.S. On peut préférer la version de Jean Doyen, mais elle
n’est pas complète.
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